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Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 57.djvu/303

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les couches d’en haut est désordonné et alarmant, plus aussi l’église semble salutaire et protectrice. Plus un peuple est disciplinable comme la France, enclin ou obligé, comme la France et l’Autriche, à remettre sa conduite aux mains d’une autorité extérieure, plus il est catholique. Sans doute l’établissement des gouvernemens parlementaires ou républicains, l’émancipation et l’initiative de l’individu travaillent dans un sens contraire ; mais il n’est pas sûr que l’Europe marche vers cette forme de société, du moins qu’elle y marche tout entière. Si la France continue d’être ce qu’elle est depuis soixante ans et ce qu’elle semble être par essence, une caserne administrative exempte de vol et bien tenue, le catholicisme peut y subsister indéfiniment.

La seconde force vive est le mysticisme. Par Jésus et la Vierge, par la théorie et les sacremens de l’amour, le catholicisme offre un aliment aux imaginations tendres et rêveuses, aux âmes malheureuses ou passionnées. C’est de ce côté seulement qu’il se développe depuis deux siècles, par le culte de la Vierge et du sacré-cœur, tout récemment par la proclamation du dernier dogme, celui de l’immaculée conception. Les bénédictins de Solesmes, qui ont édité saint Liguori, font sur ce point des aveux frappans[1]. Ils disent que l’ancienne théologie était dure, que l’église a reçu des clartés nouvelles, que, par une révélation spéciale, elle met aujourd’hui en lumière la mansuétude et la bonté divines, que le dogme et le sentiment de l’amour sont arrivés au premier rang, que la dignité infinie répandue sur la personne de Marie offre enfin aux fidèles l’autel où pourront délicieusement s’épancher toutes les délicatesses de l’adoration. Voilà une poésie féminine et sentimentale ; joignez-y celle du culte ; à tous les tournans du siècle, à l’époque des grandes dissolutions de doctrines, ces deux poésies recueillent les esprits découragés,

  1. Préface de l’édition complète, tome Ier, 1834. Saint Liguori « est un anneau nécessaire qui prolonge jusqu’à nos temps cette chaîne merveilleuse au moyen de laquelle depuis trois siècles la terre s’est rapprochée du ciel… Le Christ confie à son église de nouveaux secrets, il l’initie de jour en jour aux incommensurables mystères de son cœur… Une onction inconnue aux premiers siècles de notre foi a pénétré le cœur des amis de Dieu… Le culte de l’épouse est devenu plus tendre, de nouvelles amabilités de l’époux lui ont été révélées… Chez les catholiques, le mystère de l’eucharistie est à lui seul toute une religion ; c’est surtout depuis les six derniers siècles que cette religion du corps de Jésus-Christ a reçu un nouveau développement… Les prérogatives de Marie, cette incomparable Vierge, nous ont été montrées sous un jour nouveau… Héritiers de l’amour, nous qui la voyons s’interposer comme un doux nuage et tempérer délicieusement l’éclat des rayons du soleil dont elle fut l’aurore, nous la proclamons médiatrice toute-puissante du genre humain… Symbolisé dans un cœur, le christianisme a pu tirer les dernières conséquences de la loi de grâce sur lesquelles il est fondé… Dans cet âge de miséricorde, les préceptes du Seigneur n’ont dû être pour ainsi dire que les lois organiques de l’amour… L’affreux jansénisme parut avec sa morale dure comme ses dogmes et ses dogmes repoussans comme sa morale. »