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Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 57.djvu/415

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tionnaire, car, s’il était diplomatiquement roi d’Espagne, il n’était que duc de Brabant, comte de Flandre, seigneur de la Frise ; il régnait dans les Pays-Bas à un autre titre, sous d’autres conditions que dans les Castilles, et cette différence de titre était le signe visible d’une différence de situation qui se liait à la constitution de l’Europe. Une révolution intérieure qui portait l’Espagne au cœur du continent par la transformation radicale des provinces flamandes et hollandaises touchait ici à tout un ordre extérieur sourdement ébranlé.

Philippe II et le duc d’Albe ont surtout enfin, ce qui est le trait distinctif et essentiel des plus dangereux révolutionnaires de tous les temps, le culte de la souveraineté du but. Ils ont cette prétention de ne relever que d’eux-mêmes ou de l’idéal violent dont ils se font les séides, et ils ne connaissent ni lois morales, ni lois positives, pourvu qu’ils réussissent. Ils font crier l’humanité d’un cœur tranquille en disant : « Il faut faire son devoir ! » Le crime lui-même est absous dès qu’il sert la bonne cause. Philippe est de ces hommes qui ne reculent devant rien, qui ne se sentent liés par aucun engagement, par aucune considération. Il conspire et ourdit le meurtre d’une province ou de la reine Élisabeth d’Angleterre avec l’effrayante sûreté de conscience de l’homme qui travaille « au saint service de Dieu. » Philippe a le pape pour l’absoudre de tout, le duc d’Albe a Philippe. Ce sont là les vrais révolutionnaires. Les vrais fils du droit, ce sont tous ces hommes qui s’attachent à leurs lois, à leur foyer, à leur croyance, et les défendent jusqu’à la mort du champ de bataille ou du bûcher. C’est ce jeune Flamand qui, arrêté avec son père et sa mère et interrogé sur ce qu’ils font dans leur maison, répond avec une naïveté qui ne le sauve pas des flammes : « Nous nous mettons à genoux pour prier Dieu d’éclairer nos cœurs et de nous pardonner nos péchés. Nous prions pour notre souverain, afin que son règne soit prospère et sa vie paisible. Nous prions aussi pour les magistrats et pour tous ceux qui sont en autorité, afin que Dieu les protège et les conserve. » C’est enfin tout ce peuple de Hollande et des Frises, lent à s’éveiller, énergique et mâle pourtant, et qui, une fois poussé à bout, se lève prêt à s’ensevelir dans ses marais, dans ses villes en flammes, attendant le choc du duc d’Albe sous la conduite d’un chef qui le soutient, qui l’anime de son esprit et de son héroïsme.


III

Comme l’agression, la résistance eut plusieurs phases ; elle commença par les plaintes et les remontrances ; elle continua par une