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Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 57.djvu/425

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été défendue avec autant de bravoure et d’habileté. » Les défenseurs de Harlem ne craignaient pas les assauts, ils les provoquaient au contraire ; ils avaient à redouter un ennemi plus sinistre, la faim. Le moment vint en effet où ils étaient réduits à manger l’herbe des rues et des cimetières. Ils résistaient encore, n’ayant plus rien, soutenus par l’espoir d’être secourus. Un jour ils écrivirent une dernière lettre avec du sang au prince d’Orange pour lui annoncer leur détresse ; il leur demanda de tenir deux jours encore ; il voulait faire une suprême tentative qui échoua. Alors la ville à toute extrémité laissa tomber ses armes. Les Espagnols purent entrer, et le massacre commença ; mais il avait fallu sept mois et trente mille hommes pour en venir là.

Ce fut bien pis encore au siège d’Alkmaar, où huit cents soldats et un millier de bourgeois défièrent seize mille vétérans. Femmes, enfans, vieillards, étaient sur la brèche. Les assauts se multiplièrent inutilement. Les soldats espagnols finissaient par ressentir une sorte de superstitieuse terreur en s’élançant sur ces remparts qui semblaient protégés par une puissance invisible. La ville faisait face à l’ennemi, et pendant ce temps on rompait les digues pour inonder le pays tout entier, au risque de détruire les moissons. Par cet acte de désespoir, les Espagnols se trouvaient exposés à périr jusqu’au dernier, submergés par l’océan. Ils levèrent le siège après sept semaines. Ainsi à Harlem il avait fallu trente mille hommes et sept mois pour pénétrer dans une ville qu’on n’avait même pas réduite par la force ; devant Alkmaar, on était obligé de se retirer en toute hâte. Pour la première fois le duc d’Albe se sentait arrêté et vaincu. Le système dont il avait accepté d’être l’orgueilleuse et implacable expression périssait par ses excès mêmes, et trouvait son châtiment aussi bien que sa limite dans cette colère nationale qu’il avait enflammée. C’était pour lui le commencement de la décadence ; c’était au contraire la manifestation visible de la puissance croissante de l’insurrection hollandaise. Le dictateur farouche des Pays-Bas allait se retirer de la scène, froissé, grondant, mécontent de tout, excepté de lui-même. Son règne avait été trop long, il avait duré six ans. La révolution s’avançait à travers le sang et la ruine des villes, fortifiée par la souffrance, par l’héroïsme, par l’action toujours présente de ce chef qui concentrait dans son âme la mâle résolution d’un peuple, qui ne se laissait ni enivrer par le succès, ni ébranler par les revers, répétant aux heures les plus critiques : « Si nous sommes condamnés à périr, au nom de Dieu, soit ! toujours aurons-nous cet honneur d’avoir fait ce que nulle autre nation n’avait fait devant nous, à savoir de nous être défendus et maintenus en un si petit pays contre si grands et horribles efforts