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époux couraient Paris dans la journée, dînaient au restaurant, puis allaient au spectacle. Un soir ils venaient de rentrer chez eux après avoir vu le Vampire au théâtre de l’Ambigu. Cette pièce, qui s’ouvre par une exposition très habile, dans laquelle les principaux personnages, serrés autour de l’âtre, au fond d’un vieux château, se racontent des histoires effrayantes, avait vivement frappé, malgré ses invraisemblances, Isidore et Albertine. Ils en causèrent longuement avant de s’endormir. Peut-être, dans certaines circonstances toutes physiques, l’esprit est-il plus accessible aux idées étranges. On était en plein mois de novembre, et le vent, après avoir tourbillonné en gémissant dans les arbres du jardin, venait se heurter aux fenêtres. Quand le vent se taisait, c’était une pluie drue et fine qui crépitait aux vitres. La chambre elle-même, dans tout le désordre d’un campement de quelques jours, n’était éclairée que par une veilleuse. Les vêtemens jetés au hasard, les malles béantes y affectaient des formes fantastiques sous les lueurs intermittentes du foyer qui se mourait. — Croirais-tu donc aux vampires ? dit en riant Isidore à sa femme.

— Oh ! non ; mais je croirais plutôt, répondit-elle en frissonnant, aux assassins qui vous égorgent la nuit pendant votre sommeil.

— Bah ! reprit Isidore avec toute l’insouciance de l’étudiant qui a dormi dix ans la clé sur sa porte, à Paris et dans les hôtels du quartier latin il n’y a pas de voleurs.

— Aussi n’ai-je pas parlé de voleurs, fit-elle à demi-voix.

— Et de qui donc alors ?

— M’aimes-tu ? reprit Albertine après quelques momens de silence, sans répondre à la question du jeune homme.

— Tu le demandes !

— Eh bien ! si j’avais refusé de t’épouser, si j’avais eu de la répugnance pour toi, est-ce que tu m’en aurais voulu ?

— A mort ! s’écria-t-il.

Elle se mit à trembler si fort, qu’Isidore, un peu interdit, s’empressa de la rassurer. — Mais je ris, dit-il. Par exemple, à propos de vampires, continua-t-il toujours en plaisantant, il faut se défier des somnambules. Ils peuvent très bien vous assassiner sans le savoir. Tu connais l’histoire de ce supérieur de couvent qui lisait un soir dans son lit, et qui vit entrer dans sa chambre un de ses religieux armé d’un grand couteau ?…

— Oui. Le supérieur eut le temps de se jeter à bas de son lit, et le religieux, après avoir soigneusement tâté la place, perça le matelas de trois coups à intervalles égaux, puis se retira, le visage épanoui.

— C’est bien cela, reprit Isidore, et le lendemain le religieux vint se confesser de l’horrible crime d’intention qu’il aurait commis