Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 57.djvu/457

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et conduit à l’échafaud au milieu des huées de la foule. Cette honte publique en perspective le terrassa, comme si véritablement et de son plein gré il eût commis le crime. Aussi pendant quelques minutes chercha-t-il, à la façon des meurtriers vulgaires, à dérouter la justice. Il lui fallait faire disparaître le corps, non point l’emporter, cela ne se pouvait pas, mais gagner du temps en le cachant dans un placard, puis se sauver lui-même à tout hasard… Mais il ne saurait où aller, et on le rattraperait bientôt. Peu lui importait. Il n’entrevoyait que la fuite pour moyen de salut. Il s’approcha résolument du lit. Pauvre insensé ! comment allait-il faire pour charger brutalement ce corps sanglant sur ses épaules, quand il ne l’avait couvert jusque-là que de caresses et de baisers ? Et d’abord il y avait le fer à extraire de la blessure. Isidore prit à deux mains le manche du poignard, il essaya de le tirer à lui, et presque aussitôt il y renonça, car il lui sembla qu’Albertine souffrirait encore. Deux ruisseaux de larmes jaillirent de ses yeux ; il se prit en pitié pour l’égoïste et lâche terreur qu’il venait de ressentir, et, s’agenouillant près du lit, pour la première fois de la nuit il pria. Avec la prière, un peu de calme et de force entra dans son cœur, et il ne se releva que pour prendre la seule résolution qu’exigeaient les circonstances et qui fût digne de lui. Qu’il fût ou non l’assassin, il était innocent, et, loin de se dérober à la justice des hommes, il devait se livrer à elle et lui demander ou de l’absoudre ou de trouver le vrai coupable.

Il faisait à peine jour. Isidore descendit sans bruit l’escalier de l’hôtel et sortit. Une fois dans la rue, il se trouva un peu embarrassé. A l’accomplissement des grandes résolutions de la vie il y a le plus souvent un obstacle banal. Il avait à se présenter au corps de garde voisin ou au commissaire de police du quartier. Or où étaient-ils l’un et l’autre ? Il ne le savait. Il erra dans les rues les plus proches, grelottant sous la pluie fine et froide qui tombait toujours, et avisa enfin la lanterne rouge qui indique les commissariats de police. Il sonna, et on lui ouvrit. Le domestique fut d’abord sur le point de lui dire que le commissaire ne recevait pas à cette heure indue ; mais il jugea au visage d’Isidore que celui-ci avait quelque révélation importante à faire, et le pria d’attendre. Ce serviteur eut même le soin de donner doucement un tour de clé à la porte d’entrée, afin que le criminel, si c’en était un qui se livrait, ne pût revenir sur sa louable détermination. Isidore ne s’aperçut pas de cette précaution et s’assit sur une banquette.

Le commissaire parut bientôt, et, voyant qu’Isidore ne se doutait point qu’il fût là, il le toucha légèrement à l’épaule en lui disant : — Qu’avez-vous à m’apprendre, monsieur ?