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cence d’Isidore. Pendant que l’attention se tournait sur les témoins. M. Gestral, placé au coin le plus sombre, examinait les assistans. Les étudians, venus là pour la première fois, formaient comme un large demi-cercle autour des habitués. Ces derniers, sans se connaître, s’étaient groupés d’instinct. Ils se ressemblaient d’ailleurs par le costume, l’attitude, la même curiosité banale empreinte sur les traits. L’attention de M. Gestral, après qu’il eut exploré les diverses parties de la salle, se porta particulièrement sur eux. Ses yeux erraient d’une physionomie à l’autre, mais sans y rien découvrir qui le guidât. Il y en avait une pourtant qui l’attirait, plus intelligente, plus recueillie, en quelque sorte repliée sur elle-même. Quelque indifférent que se fit le masque, une passion intérieure prudemment contenue semblait l’éclairer ; mais c’était bien peu de chose qu’un tel indice, et M. Gestral se trompait peut-être. L’homme qu’il observait avait une cinquantaine d’années, le crâne plus pelé que chauve, les yeux dérobés sous des lunettes, le nez long, les lèvres minces, le teint blafard, bien qu’enflammé par endroits. Un grand manteau qui lui cachait les mains le couvrait en entier. Ses mains le trahirent. M. Gestral avait en effet passé, dans son impitoyable examen, du visage à la disposition du corps. Il remarqua que les mains reposaient sur les genoux, que de temps en temps elles se crispaient en froissant le drap, et cela surtout quand un murmure de sympathie pour Isidore accueillait les dépositions des témoins. M. Gestral se crut enfin sur la trace qu’il cherchait, et tressaillit de joie. Il ne quitta plus l’inconnu des yeux. Quand l’audience fut terminée, il vit cet homme sortir lentement, s’approcher des différens groupes, écoutant ce qui s’y disait, mais ne parlant pas. M. Gestral ne commit pas l’imprudence de le suivre lui-même. Il chargea de cette mission un de ses meilleurs agens, dont il attendit avec impatience le retour. Celui-ci revint au bout d’une heure. L’homme qu’il avait surveillé habitait, dans l’Ile-Saint-Louis, le rez-de-chaussée d’une maison qui lui appartenait et qui avait un jardin ouvrant par une petite porte sur une rue voisine presque déserte. Il s’appelait Darronc, c’était un ancien avoué.

Le lendemain, M. Gestral, avec toutes les allures d’un marchand retiré, se plaça au palais à côté de ce Darronc. L’audition des témoins continua ; mais M. Darronc ne donna plus aucun signe d’agitation. Peut-être avait-il réfléchi que la moindre manifestation était un péril pour lui, ou s’était-il blasé sur cette partie des débats dont l’importance n’était en somme que fort secondaire. Le tour du médecin qui avait soigné Isidore arriva, et le plus profond silence s’établit. Le médecin, avec une grande simplicité, mais avec toute l’autorité de l’homme de science, raconta dans quel état il avait trouvé l’accusé, l’épreuve qu’il avait tentée sur lui, le résultat de