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Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 57.djvu/503

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Laissant s’évertuer le menu populaire
Après l’ombre du gueux, qui n’était que chimère.
Le vrai voleur, c’était lui-même, et par son mot,
Le drôle ! il avait mis tout le monde en défaut.
Or, comme j’admirais ce tour de passe-passe
Et comme on en impose à l’ignorante masse,
À part moi je me dis : Au monde des salons
Que de semblables gens aujourd’hui nous voyons !
C’est le jeu. Par trop sot serait le personnage
Qui se présenterait sans un masque au visage
Dans ce champ de lumière et de publicité
Où vit si follement notre société.
Que veut-on ? Usurper l’honneur et les hommages
Naturellement dus à la vertu des sages ?
Non, ce but de nos jours n’agite point le cœur,
Et l’on a peu souci de paraître meilleur.
Ce qu’on cherche plutôt ; c’est un bon artifice
Qui permette à chacun de suivre en paix son vice,
Sans craindre le scandale et les cris indiscrets
Des gratteurs de papier, des faiseurs de caquets.
Pour cela, de la règle on revêt l’apparence,
Et, sous ce domino de parfaite décence,
Dans le raout mondain, jusqu’aux derniers momens,
On donne libre cours a ses débordemens.
Ainsi, sans rappeler la vulgaire rouerie
De tous ces fins escrocs de bonne compagnie
Qui savent attirer votre or de leur côté
En se donnant des airs d’austère probité,
Que d’autres vont mettant la recette en usage !
Don Juan est marguillier et pousse au mariage ;
Valère le joueur, héros du lansquenet,
Qui, sur le tapis vert de son tripot secret,
Du Pactole vingt fois épuiserait la source,
Déclare à tout venant qu’il faut fermer la Bourse.
Phryné, riche du bien de plus de vingt amans,
Et le cou ruisselant d’or et de diamans,
S’irrite à tout propos du luxe des lorettes,
Et demande un décret qui borne leurs toilettes.
Puis l’on entend l’avide et gras Trimalcion
Tonner contre la table et sa profusion ;
Soulouque larmoyant flétrit la tyrannie,
Et Basile indigné crie à la calomnie.