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refouler en Asie, tantôt comme les sauveurs de l’équilibre européen ; mais si quelque chose doit les consoler d’appréciations aussi versatiles, c’est que la Grèce elle-même n’a pas été traitée avec plus de sang-froid, et que les publicistes de l’Occident épuisent tour à tour pour elle le dithyrambe et la satire.

Aujourd’hui que l’Orient est plus exploré, mieux connu, l’on peut se former facilement des idées moins contraires à la vérité. Il est temps de se prémunir contre ces exagérations si regrettables en politique, et de voir dans la Turquie ce qu’elle est réellement, c’est-à-dire une nation en retard, mais non pas incapable d’avancer. Aucune race, quelques préjugés que l’opinion publique ait contre elle, ne doit être mise au ban de la civilisation générale. Rien ne serait moins équitable qu’un pareil ostracisme. Sans doute, si l’empire ottoman ne pouvait subsister que par le fanatisme et le despotisme, personne n’aurait à faire des vœux pour le maintien de cet empire ; mais est-il vrai que les Turcs soient voués fatalement à l’immobilité et à l’intolérance ? « Certes, est-il dit dans le Coran, ceux qui suivent la religion juive, et les chrétiens et les sabéens, en un mot quiconque croit en Dieu et au jour dernier, et qui aura pratiqué les bonnes œuvres, tous ceux-là recevront une récompense du Seigneur ; la crainte ne descendra point sur eux, et ils ne seront point affligés. — Point de contrainte en religion ; la vraie route se distingue assez de l’égarement. » Malgré des explosions de fanatisme que nous retrouvons dans l’histoire de la Turquie comme dans la nôtre, les Osmanlis ne se sont pas en général montrés plus intolérans que la plupart des autres peuples. Arrivés en Europe sous le prétexte du triomphe de leur foi, le Coran d’une main, l’épée dans l’autre, ils n’ont cependant pas songé à la centralisation religieuse. Si en Asie et en Europe un certain nombre de chrétiens ont embrassé l’islamisme, l’immense majorité est restée librement attachée à sa foi. Le lendemain de la prise de Constantinople, Mahomet II partageait par nombre égal les églises entre les deux cultes. Il assistait comme souverain aux grandes cérémonies chrétiennes. « Mes sujets, disait-il, sont tous égaux devant moi ; je ne les distingue que quand ils sont à l’église ou à la mosquée. » Les sultans n’ont-ils pas protégé l’aristocratie fanariote, les banquiers arméniens ? N’ont-ils point signé les capitulations, véritables monumens de tolérance ? Ne voit-on pas chaque année, le jour de la Fête-Dieu, les processions catholiques circuler à Constantinople, dans les rues des faubourgs de Péra et de Galata ? Des reposoirs sont dressés, les cloches sonnent, le clergé chante des hymnes ; les soldats turcs présentent les armes lors de la bénédiction du saint-sacrement. Il n’y a pas encore beaucoup de chrétiens dans les hautes dignités de l’empire ottoman ; mais combien même de nos jours y a-t-il en Europe de Juifs dans les honneurs ? Au lieu de déclarer en principe que l’intolérance est pour les Turcs un mal inévitable, ne vaut-il point mieux les encourager dans la voie libérale où ils ont fait un premier pas ? Depuis quelques années, des chrétiens ont été investis de charges importantes. Un Grec et un Arménien siègent au grand-conseil ; un catholique, Daoud-Pacha, gouverne le Liban. Il y a dans la diplomatie ottomane presque autant de chrétiens que de sectateurs de Mahomet. Le sultan Abdul-Azis a décidé la formation pour sa garde d’un corps de jeunes gens, ap-