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tombait dans cette léthargie pire que la mort, car celle-ci a du moins les chances heureuses qu’un successeur peut apporter.

Il y avait pourtant dans l’empire un homme dont le nom, destiné à devenir célèbre, était déjà connu, et qui, par son caractère et les services qu’il avait rendus, prenait peu à peu cette autorité qui, aux temps de crise et d’anarchie, va d’elle-même au plus résolu. C’était Raimond, comte de Montecuculli, d’une famille originaire du Modenais, entré de bonne heure dans les armées de l’empire et vainqueur des Suédois dans la dernière guerre. Son nom restait populaire malgré la dure nécessité qui venait de le réduire à évacuer la Transylvanie. Chaque soldat de sa petite armée savait que cette retraite, exécutée avec ordre et sans pertes sensibles devant les milices innombrables des Turcs, avait été commandée par le dénûment absolu, le manque d’hommes et d’argent où le conseil aulique avait laissé le général. D’ailleurs cette retraite forcée avait eu un résultat aussi heureux qu’imprévu : les troupes, ramenées de Transylvanie, concentrées dans une île du Danube à quelque distance de Vienne, couvraient la capitale non-seulement contre l’armée turque, qui avait occupé la principauté, mais contre l’attaque bien autrement puissante qui se préparait du côté de Belgrade ; c’est là que s’amassait tout l’effort de l’empire ottoman, Par le fait, la guerre avait commencé depuis l’année 1662 entre les deux empires ; la Transylvanie, placée sous la protection de l’empereur, avait été occupée par les Turcs. La cour de Vienne s’obstinait à ne point voir dans ces hostilités, dans ces combats de tous les jours, une rupture de la paix ; elle n’avait jamais cessé et ne cessait de négocier à Constantinople. On semblait croire à la cour de l’empereur qu’on écarterait la guerre en soutenant toujours qu’on était en paix. Cette disposition à se rassurer à Vienne était si favorable aux Turcs qu’ils ne négligeaient rien pour l’entretenir. On amusait par de vagues promesses l’envoyé autrichien, le baron de Goës, et ce diplomate naïf, ajoutant plus de foi aux paroles qu’aux préparatifs qui se faisaient ouvertement sous ses yeux, contribuait à entretenir les illusions de sa cour. Comme les gens faibles, il niait le péril pour n’avoir pas à s’occuper de remèdes au-dessus de son courage. Peut-être aussi se montrait-il si certain de la paix parce qu’il avait la conscience que son gouvernement accepterait pour la conserver tous les sacrifices qui lui seraient demandés.

Le sultan (Mohammed IV) s’était cependant rendu à Andrinople sous le prétexte de ces chasses aux bêtes féroces qui étaient son divertissement favori ; Achmet Kiuperli, le nouveau grand-vizir, impatient de justifier le choix imprévu qui le désignait pour accomplir les vastes projets préparés par son père, avait établi son camp