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Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 57.djvu/630

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régulièrement, la première condition était qu’elle fût générale et uniforme, ce qui supposait non-seulement l’Inde pacifiée, mais son unité politique établie. Or tel est précisément l’état de cette contrée aujourd’hui. Tous les hommes qui la connaissent s’accordent à considérer l’insurrection de 1857 comme devant être la dernière, au moins de quelque importance. Quand une génération nouvelle aura succédé à celle qui y a pris part et qui s’y est en grande partie détruite, il ne restera dans le pays que des souvenirs lointains des anciens états de la société hindoue. Chez nous, l’histoire conserve d’année en année le souvenir précis des événemens, et pourtant les fils connaissent à peine l’histoire de leurs pères. Dans l’Inde, ces annales n’existent même pas, quoiqu’on y écrive quelques livres d’histoire, et les faits ne se conservent dans le souvenir que quand ils peuvent se changer en légendes. Or ce n’est certainement pas le dernier roi de Lahore, le triste successeur de Ranjit-Singh, ce n’est pas non plus le dernier roi d’Aoude qui pourront donner lieu à de tels récits. On redira peut-être encore comme une chose lointaine qu’il y eut un empire des Çikhes, un royaume d’Aoude, une confédération du Sindh ; mais ces vagues récits ne soulèveront aucune passion dans l’âme insouciante des Hindous. Les fils verront leurs terres produire des récoltes que leurs pères n’avaient point connues ; ils sentiront leurs intérêts étroitement liés à ceux des Européens ; les inventions de l’Occident leur procureront un bien-être dont la génération précédente n’avait pas joui, et ils commenceront à se demander si ces étrangers que leurs pères avaient maudits ne sont pas réellement leurs bienfaiteurs. Ces effets se produisent déjà dans une partie notable de l’Inde, surtout dans celle où la culture du coton a rendu la vie à de vastes campagnes abandonnées, dans toute la région centrale que traverse le grand chemin de fer, et dans la province d’Agra depuis que les travaux exécutés au canal du Doâb ont commencé à ramener la fertilité dans ce pays. L’action générale que le gouvernement de Calcutta exerce en ce sens fera entrer dans les esprits cette unité politique qui n’est encore que dans l’administration, et qui est une des formes essentielles de la civilisation moderne.

J’avoue que je ne comprends pas les plaintes qu’on élève contre l’Angleterre parce qu’elle n’admet guère dans les hautes fonctions que des Européens et presque uniquement des Anglais. En peut-il être autrement tant qu’un pays conquis n’a pas atteint l’unité politique, qui est son premier besoin ? Avons-nous fait autrement dans l’Algérie, si petite et si près de nous en comparaison des Indes ? D’ailleurs une organisation politique et administrative est comme un grand mécanisme où l’on ne peut remplacer une pièce que par une autre de même forme et exactement appropriée au rôle qu’elle