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le suit, jette dans chaque trou un grain de doura ; le bienfaisant kharif, la saison des grandes pluies estivales, fera le reste. De ce que cette culture exige peu de labeur, il n’en faut pas conclure que le nomade se refuse aux travaux pénibles des champs. Il ne marchande point avec la fatigue quand les circonstances l’exigent, par exemple au Sennâr, où il obtient de puissantes récoltes de sésame et de coton dans des terrains on certes le spéculateur n’irait pas les chercher. L’activité de l’Européen peut être appelée à transformer le magnifique bassin du Fleuve-Blanc, improductif tant qu’il restera entre les mains de ce grand enfant qu’on appelle le nègre ; mais, soit dit en passant, elle n’a rien à faire dans la région dont je parle ici, et qui est depuis des milliers d’années le domaine providentiellement désigné à la race laborieuse et fière qui l’occupe encore aujourd’hui.

Vers le milieu de la plaine de Cheb s’élève un pic isolé nommé Ghehenab, au pied duquel passe un énorme torrent où les caravanes stationnent d’habitude. Elles y trouvent de l’eau dans la saison des pluies, et en tout temps du bois mort charrié par les eaux des montagnes voisines, et qu’il est inutile de chercher sur tout autre point de cette plaine maudite. Un autre avantage de cet endroit, c’est qu’on y a pour lit le sable fin des bords du torrent au lieu du dur gravier du steppe. Il faut cependant éviter de se coucher sur ce sable durant les mois qui suivent le kharif, lorsqu’il recèle une eau abondante dans ses couches inférieures, et menace l’imprudent dormeur de fièvres ataxiques. En toute autre saison, c’est une couche relativement comfortable et sûre ; le reflet blanc des sables, perceptible même durant les nuits sombres, écarte en effet les hyènes, les léopards et autres animaux maraudeurs qui rôdent autour des campemens ; on n’a de plus à craindre aucun des insectes redoutables ou dégoûtans, le scorpion, le kheim, le termite, et toute la dévorante famille des fourmis. Je dormis donc admirablement dans le sable de ce torrent qui se nomme Maï-Oulé, tout près d’un petit monument commémoratif d’une légende héroïque et récente. Il y a peu d’années, un pasteur nommé Abdallah Nefer combattit là un énorme lion qu’il parvint à terrasser ; mais il avait reçu dans cette terrible lutte de mortelles blessures, et quand ses amis vinrent à son secours, ils relevèrent deux cadavres, le vainqueur et le vaincu. Tous deux furent ensevelis en cet endroit, parmi les mimosas, à l’ombre desquels s’élèvent deux petits monumens rustiques et pittoresques dont l’un s’appelle le kaber d’Abdallah, l’autre le kaber du lion.

Des bords du Maï-Oulé, on arrive en quelques heures au pied de la chaîne de Menza. Il y a là un cimetière, nommé Matzomar, qui rappelle de tragiques souvenirs : c’est là que repose toute une pe-