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Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 57.djvu/843

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vançait en tête. Bientôt il fallut tailler à coups de hache des marches dans la glace glissante et dure. Quoique le ciel fût splendide, le froid était très vif, et de temps à autre le vent soufflait par rafales furieuses. Pas à pas, lentement et avec les plus grandes précautions, on se rapprochait du but ; mais il arriva un moment où les mains engourdies de Madutz ne purent plus tenir la hache. Sans entailler la glace, il était impossible d’aller plus loin sur un faîte plus aigu que celui d’un toit d’église gothique. Force fut donc de renoncer à l’audacieuse entreprise.

Les premiers représentans de la science qui atteignirent la Höchste-Spitze furent MM. Adolphe et Hermann Schlagintweit, bien connus par leurs beaux travaux sur les montagnes de l’Himalaya. Ils partirent de Zermatt le 21 août 1851, et allèrent passer la nuit sur le pâturage à moutons de Gadmen, situé à l’altitude de 8,475 pieds, aux bords du glacier de Gorner, juste en face des pentes neigeuses du Mont-Rose. C’est là aussi qu’avaient bivouaqué MM. Ulrich et Studer. Des tiges desséchées de rhododendron permirent d’entretenir du feu pendant la nuit. Le ciel était d’une pureté admirable, et le thermomètre descendit à 3 degrés au-dessous du point de congélation. Trois guides accompagnaient les deux savans. A quatre heures du matin, on était déjà en marche. Le glacier de Gorner n’offrant pas de grandes crevasses en cet endroit, on le franchit sans difficulté. Après avoir dépassé le petit lac creusé au pied même des déclivités glacées du Mont-Rose, il fallut aborder celles-ci. Elles sont traversées par de longues et profondes crevasses ; l’expédition les franchit sur les ponts fragiles que forment les neiges durcies au-dessus de ces gouffres béans. A mesure qu’on montait, l’inclinaison devenait plus forte et la marche plus fatigante. Bientôt d’énormes masses de glaces et de neiges, des séracs, comme on les appelle à Chamounix, semblèrent barrer le passage. C’étaient les débris d’épouvantables avalanches récemment tombées des parois abruptes de la Nord-Ende. On parvint à franchir ce dangereux passage, tantôt en rampant sous les voûtes de ces ruines branlantes, tantôt en gravissant les blocs de glace la hache à la main. On approchait du haut du névé, quand tout à coup le guide qui marchait en tête tomba dans une crevasse. Grâce à la corde qui rattachait tous les voyageurs les uns aux autres, on parvint à le sauver ; mais la commotion avait été si forte qu’il eut de la peine à se remettre. A dix heures du matin, on atteignit la crête où s’étaient arrêtés MM. Ulrich et Studer. Restait à escalader la dernière pyramide, qui dominait encore ce faîte de 348 pieds. C’était une rude entreprise, qui exigeait la force et l’adresse d’un chasseur de chamois et une tête à l’abri du vertige. La paroi était à peu près verticale. On de