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tout l’éclat de sa beauté ; mais ce qui est moins aisé à comprendre, c’est que cet empire, dont l’origine n’a rien que de naturel, se soit prolongé si longtemps, c’est qu’un roi entouré de toutes les séductions, qui n’avait qu’à choisir entre les plus grandes beautés de son royaume, se soit obstiné dans une fidélité si rare pour une femme que son âge semblait devoir reléguer au rang des matrones. Un semblable succès a des causes complexes. Il faut, pour en apprécier les motifs, pénétrer les replis du cœur humain, réfléchir à ce que peut une âme forte sur un esprit faible, une volonté inflexible sur un caractère sans ressort; il faut se rendre compte des sophismes de la fausse conscience, qui tourne le vice en vertu et représente l’opiniâtreté dans le mal comme une constance méritoire. En résumé, le système de Diane n’est qu’une longue hypocrisie. Elle masque l’ignominie de son rôle sous des dehors séduisans et presque respectables. Au début, elle prend l’attitude d’une conseillère, d’une amie; elle donne à une passion sensuelle l’aspect d’une tendresse idéale. Plus tard, elle persuade à son amant qu’elle est utile aux intérêts de sa couronne; elle se met au courant de toutes les affaires de l’état; elle écrit aux ambassadeurs, aux princes, aux maréchaux. C’est plutôt un premier ministre qu’une maîtresse. Le roi, qui, malgré le rang suprême, conserve toujours un fonds naturel de réserve et de timidité, se sent en confiance auprès d’elle et ne peut se passer de ses entretiens. « Chaque jour, dit l’ambassadeur vénitien Lorenzo Contarini, il demeure, après son dîner, une heure et demie à raisonner avec elle, et lui fait part de tout ce qui arrive. » L’illusion du monarque est devenue si complète qu’il se croit sincèrement l’obligé, le débiteur de Diane, et qu’il lui demeure attaché autant par la reconnaissance que par les liens de l’habitude. La favorite cherche jusque dans les sentimens de famille des appuis pour ses projets de domination. Elle se constitue la protectrice de l’épouse qu’elle outrage, la gardienne du foyer domestique, dont en réalité elle est l’opprobre. Elle se fait livrer tous les secrets de l’alcôve, elle pénètre dans le gynécée. En lui confiant la direction de la famille royale, Henri II s’imagine qu’il agit en bon père, et que ses enfans ne peuvent avoir de meilleur soutien que Diane. Elle préside au choix des nourrices, elle accapare les berceaux, elle tranche toutes les questions relatives à la santé des nouveau-nés. C’est encore elle qui décide en quelles maisons de campagne les jeunes princes passeront l’été, et auprès d’eux elle place, en qualité de gouverneur et de gouvernante, deux de ses créatures, M. et Mme d’Humières, qu’elle appelle naïvement ses alliés. M. Guiffrey a publié un grand nombre de lettres adressées par Diane à ces deux personnages, et l’on voit que les ordres d’Henri II au sujet des enfans s’exprimaient par l’intermédiaire de la favorite. Guillaume Chrestian, médecin ordinaire du roi, dans la préface d’un de ses livres dédié à la grande-sénéchale, lui rend ce témoignage : « Non-seulement, dit-il, vous avez eu soing de la conception et nativité de leurs enfans, mais aussi à les faire nourrir par femmes nourrices