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Page:Revue des Deux Mondes - 1866 - tome 64.djvu/747

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redoutables se contentent de fuir quand la ruine se manifeste. Ce sont des chenilles de toute sorte qui abandonnent les branches dépouillées, de petits coléoptères qui habitaient les écailles de l’écorce, de sveltes lézards qui se retiraient dans les crevasses, des frelons qui creusaient leur terrier sous les racines, ou ces gentilles abeilles maçonnes qui accrochaient aux rugosités de l’épiderme leurs maisonnettes de terre glaise. Tous ces petits êtres désertent successivement le vieux chêne suivant la progression de la décrépitude. Aujourd’hui c’est un lambeau qui se détache et met à ciel ouvert toute une famille en désarroi ; demain c’est une branche qui se brise, une autre fois c’est la tête entière qui s’affaisse ; enfin, foudroyé, fendu, pulvérisé, le tronc lui-même s’écroule et couvre au loin de ses tristes débris la vaste circonférence qu’ombragea si longtemps son feuillage.

L’histoire du chêne est maintenant terminée. Ce n’est pas seulement, à vrai dire, l’histoire d’un arbre que nous avons essayé de raconter; nous avons voulu montrer dans ses diverses périodes la vie des grands végétaux, des plantes phanérogames, auxquels le chêne peut servir de type. Toutes ces plantes se ressemblent dans leurs modes généraux de naissance, de développement, de floraison et de fructification. Par leur double appareil de nutrition, par les racines et le feuillage, elles puisent dans le sol et dans l’atmosphère ici l’eau et les élémens terrestres, là-haut les vapeurs et les gaz. Dans cette atmosphère qu’elle purifie en la purgeant d’une forte proportion d’acide carbonique, la plante verse des torrens d’oxygène ou d’ozone. Elle fait plus encore que d’alimenter nos poumons d’air respirable, elle nourrit l’homme en s’incorporant dans ses tissus. La racine, l’herbe, le légume, le fruit, mangés par l’animal, se transforment en nourriture azotée, et viennent, par une assimilation nouvelle, entretenir dans nos organes cette vie qui, de toute façon solidaire de la vie répandue dans la nature, s’y rallume incessamment comme au foyer universel. Considérée dans ses rapports avec l’universalité des êtres, la plante est la manifestation d’une vie relative, elle joue le rôle d’intermédiaire entre les deux autres règnes, rapprochant les différences, rejoignant les anneaux de la grande échelle organique, et confirmant la loi d’unité qui constitue désormais la base de toute philosophie naturelle. Considérée dans ses fonctions générales, elle est encore l’un des élémens les plus féconds dont se serve la nature, cette force plastique toute-puissante qui, à travers les organismes, pousse la vie des limbes les plus obscurs jusqu’aux plus glorieuses sommités.


ED. GRIMARD.