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vue des choses étant changé, il s’agit de tout remettre au nouveau. J’aurai donné à mon idée toute l’étendue et en même temps toute la restriction qu’elle comporte en disant que M. Comte a fait la constitution de la philosophie positive, voulant dire, d’après le sens que j’attribue à la constitution d’une science, que depuis M. Comte elle a sa base, qui est dans les sciences, sa méthode, qui est dans la hiérarchie scientifique, et son résultat, qui est dans la conception du monde, mais voulant dire aussi qu’une philosophie constituée est seulement une philosophie commencée.


IV.

Ma tâche est finie; mais je viens d’être aux prises avec les conditions fondamentales de la philosophie que je professe, et avec un ordre d’objections puisées non plus, comme c’est l’ordinaire, dans la théologie ou la métaphysique, mais dans une doctrine où l’on a la volonté de philosopher suivant un mode positif tout en se séparant de la philosophie positive, œuvre de M. Comte. Le lecteur ne s’étonnera donc pas qu’à cette tâche, toute finie qu’elle soit, j’ajoute quelques considérations, qui, bien que subsidiaires, étendront et éclairciront la discussion.

M. Mill, quand la philosophie positive lui tomba entre les mains, avait reçu sa préparation essentielle par la psychologie et par la logique, dans lesquelles il s’est acquis tant de réputation et d’autorité. Moi, quand cette même philosophie positive est venue à ma connaissance, j’avais reçu ma préparation par la médecine, par la physiologie, par la biologie : non pas que j’aie eu en biologie, comme M. Mill en logique, le bonheur d’attacher mon nom à quelque œuvre considérable; mais ce n’en est pas moins l’étude de ma jeunesse, celle qui a laissé les plus profondes traces dans mon esprit, et qui m’est encore aujourd’hui un objet de lectures et de méditations. M. Comte, dans le temps de mon intimité avec lui, n’avait pas manqué de noter cette différence entre M. Mill, avec lequel il entretenait une correspondance philosophique, et moi qui étais son disciple. Ce n’est pas pour signaler cette différence d’origine et pour le futile plaisir de rappeler d’où je suis parti que j’ai amené cette courte digression; c’est pour quelque chose de plus utile, c’est pour montrer que, dans le mode positif de philosopher, l’état actuel de la pensée offre deux manières, l’une procédant de la psychologie positive, l’autre du groupe de sciences que M. Comte a disposées en un ordre hiérarchique.

M. Mill, dans son excellent livre sur la philosophie de sir William Hamilton, parle de l’école qui est partout et constamment en ascendant depuis qu’a cessé la réaction contre Locke et Hume, ce