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REVUE. — CHRONIQUE.

qui viendront tout seuls, si on marche bien. Sans aucun doute, c’est un spectacle curieux et d’un bon effet que ces changemens à vue, ces renouvellemens de la scène politique, ces défilés de personnages dans les salons des ministères. Ces choses-là font toujours plaisir, et peuvent avoir leur importance ; elles sont dans tous les cas le signe d’une révolution singulière par l’apaisement des esprits. Il ne faudrait cependant s’y fier qu’à demi, et après cette lune de miel de l’avènement le plus sûr encore serait de bien définir son terrain, d’épargner à l’opinion de trop longues incertitudes sur ce qu’on veut faire décidément, et de ne pas laisser les projets se promener trop longtemps du cabinet d’un ministre au conseil d’état, du conseil d’état dans une commission. Les programmes portés au pouvoir par les divers membres du cabinet sont d’ailleurs connus. Il s’agit moins de multiplier les demi-mesures ou les réformes d’apparat que de concentrer son action sur quelques points essentiels. Jusqu’ici, le ministère a vécu par la considération et la bonne renommée des hommes, et on ne demande certes pas mieux que de le suivre. Il est peut-être temps qu’il vive par l’ascendant de son initiative et de ses actes.

Le ministère, en agissant avec décision, en donnant le signal des œuvres sérieuses, viendra du reste très utilement en aide au corps législatif lui-même ; il lui épargnera le dangereux désagrément de s’égarer dans toute sorte de débats sans fin et de perdre son temps. On dit que le corps législatif doit périr par le vice de son origine ; en réalité, il est bien plus menacé par l’étrange système qu’il suit dans ses travaux, par ce spectacle de disputes décousues qui se succèdent avec une désespérante monotonie, et en toute justice ce n’est pas l’ancienne majorité qui a la plus grande part dans cette confusion. Il y a déjà deux mois et demi que la session parlementaire est ouverte, il y a six semaines qu’un nouveau ministère existe ; qu’a fait le corps législatif ? Le bulletin de ses opérations est malheureusement facile à tracer.

Il n’a rien fait, ou, pour mieux dire, il s’est agité dans le vide ; sauf quelques séances qui ont eu leur éclat parce que des hommes supérieurs ont discuté avec autant d’éloquence que de savoir des intérêts sérieux, le reste porte la double et indélébile marque de l’inexpérience et de la passion. Nos travaux parlementaires, il n’en faut pas médire, mais jusqu’ici ils peuvent se diviser en deux parts, — l’une, celle de la médiocrité bavarde, stérile ; l’autre, celle de l’acrimonie et de la violence injurieuse. Le corps législatif, s’il n’y prend garde, glisse sur une singulière pente. Il se réunit après deux heures, et à six heures il commence à être fatigué. Dans l’intervalle, on s’amuse aux préliminaires du procès-verbal, on pousse une question d’un côté, une interpellation de l’autre ; au milieu du débat le plus grave, un incident passionné éclate tout à coup, et voilà l’assemblée en combustion pour une heure. M. Jules Ferry éprouve le besoin de paraître, et il s’exalte à froid, s’efforçant vaine-