Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 85.djvu/108

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ont changé la face de l’Autriche, payer les arrérages dont elle est redevable à l’Europe savante en produisant beaucoup de livres comme celui-là !


I

Les origines de la croyance au diable remontent très haut, et, comme celles de toute croyance plus ou moins dualiste, c’est-à-dire basée sur l’opposition radicale de deux principes suprêmes, elles doivent être cherchées dans l’esprit humain se développant au sein d’une nature qui lui est tantôt favorable, tantôt hostile. Il est un certain dualisme relatif, un antagonisme du moi et du non-moi, qui se révèle dès la naissance de l’homme. Sa première respiration est douloureuse, car elle le fait crier. C’est en luttant qu’il apprend à manger, à marcher, à parler. Plus tard, le travail indispensable à sa conservation reproduira cette lutte perpétuelle sous d’autres formes. Quand le sentiment religieux s’éveille en lui et cherche d’abord son objet et ses alimens dans la nature visible, il se trouve en face de phénomènes qu’il personnifie, qui sont les uns aimables et aimés, tels que l’aurore, la végétation nourricière, la pluie qui rafraîchit et fertilise, les autres effrayans et redoutés, comme l’orage, le tonnerre, la nuit. De là des dieux bons et des dieux mauvais. En règle générale et en vertu de cet égoïsme naïf qui caractérise les enfans et les peuples dans l’enfance, les dieux redoutés sont plus adorés que les dieux aimables, qui leur feront toujours du bien d’eux-mêmes et sans qu’on les en prie. Tel est du moins le résultat convergent des observations de tous les voyageurs qui ont vu de près dans les deux hémisphères les peuples demeurés dans l’état sauvage. Inutile d’ajouter que leurs divinités n’ont point de caractère moral proprement dit. Elles font le bien ou le mal parce que leur nature est ainsi faite, voilà tout. En cela, elles ne font que ressembler à leurs adorateurs. L’homme en effet projette toujours son propre idéal sur la divinité qu’il adore, et, tout bien considéré, c’est encore de cette manière qu’il arrive à posséder tout ce qu’il peut comprendre de la vérité divine. Il a toujours le sentiment que son dieu est parfait, et c’est là l’essentiel ; mais les traits de cette perfection sont toujours plus ou moins ceux de son idéal. On demandait un jour à deux petits gardeurs de pourceaux dans je ne sais plus quelle province reculée de l’Autriche : — Que feriez-vous tous les deux, si vous étiez Napoléon ? — Moi, dit le plus jeune, j’irais tous les matins beurrer ma tartine à même le pot au beurre. — Et moi, dit l’autre, qui trouvait sans doute cette réponse trop prosaïque, moi, je garderais mes cochons à cheval ! — De même un Bushman invité par un