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Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 85.djvu/15

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L’ARMÉE PRUSSIENNE EN 1870.

tous les moyens nécessaires pour étendre et perfectionner des institutions qui lui avaient valu des succès si foudroyans et si complets. Usant habilement du prestige de sa situation, il s’empara de toutes les ressources militaires des pays qui rentraient sous son influence. Par le vote du budget de la guerre pour cinq ans, par une admirable organisation défensive et offensive inscrite dans les lois organiques de la nouvelle confédération du nord, il s’est mis en mesure de défier les refus de crédit, les votes de budget, et de confondre tous les efforts que le parlement pourrait tenter par la suite pour diminuer les charges auxquelles le peuple allemand s’est si facilement résigné.


I

La confédération de l’Allemagne du nord compte 30 millions d’habitans. L’effectif de son armée sur le pied de paix peut atteindre 319,000 hommes. Ces forces, mises à la disposition du roi de Prusse, se décomposent en treize corps : un corps d’élite, la garde, et douze autres corps, qui représentent autant d’unités distinctes et indivisibles, dans chacune desquelles sont répartis d’une façon permanente les élémens dont l’ensemble est nécessaire pour constituer un corps d’armée. — Chacun d’eux a une circonscription territoriale particulière, déterminée et invariable. Cette organisation, qui consiste à placer les régimens en garnison tout à portée des centres où ils se recrutent, ne permet pas seulement de faire des économies considérables sur les dépenses de mouvemens de troupes, elle a toute sorte d’avantages pour les populations, qui sont bien aises d’avoir près d’elles des troupes composées d’hommes du pays, et elle a grandement facilité la fusion complète des élémens anciens et des élémens nouveaux de l’armée prussienne. Enfin elle offre le moyen de former rapidement en temps de paix les divers corps de l’armée fédérale[1]. Le roi Guillaume et M. de Bismarck ne se bornèrent pas

  1. Cette organisation militaire territoriale a surtout une grande importance, si on la considère au point de vue international. À plusieurs reprises, depuis deux ans, quelques journaux prussiens ont mis une singulière persistance à présenter les armemens de la France sous les couleurs les plus inquiétantes pour l’opinion publique. Dans le cours de l’été de 1867, nous aurions eu, disaient-ils, 60 à 70,000 hommes concentrés dans nos provinces du nord et de d’est. Cependant, des treize corps d’armées qui composent l’armée fédérale, il y en a trois qui se trouvent distribués dans les provinces occidentales de la monarchie. Le 7e corps (Westphalie) occupe la rive droite du Rhin (Dusseldorf, Deutz), et remonte jusqu’à Wesel ; le 8e corps (province rhénane) se développe sur la rive gauche du fleuve, de Cologne à Trêves et à Saarbrück ; dans sa circonscription, on trouve la garnison de Mayence, qui se compose de 4 régimens d’infanterie et des armes spéciales. Le 11e corps enfin (Hesse, Nassau) occupe tout l’ancien électorat de Hesse, les villes de Hanau et de Fulda, Wiesbaden et Francfort. Chacun de ces corps, sur le pied de paix, compte environ 23,000 hommes. C’est donc, en y comprenant les régimens d’infanterie casernés à Mayence, une masse de 75,000 hommes qui est échelonnée en deux lignes profondes le long de nos frontières entre Thionville et Forbach. Cette masse, mise sur le pied de guerre, pourrait atteindre rapidement le chiffre de 120,000 hommes. On voit que l’argumentation favorite des alarmistes de l’autre côté du Rhin pourrait provoquer plus d’inquiétudes en France qu’en Allemagne, surtout si l’on songe que l’organisation de chaque corps d’armée est combinée de telle façon qu’il lui suffit d’un délai de quelques jours pour atteindre son effectif de guerre.