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Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 85.djvu/156

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fleuve qu’il venait de descendre en emmenant avec lui les malles de l’Inde ; mais, l’Euphrate ayant besoin de fortes réparations et les chantiers de Bassora n’offrant pas les ressources nécessaires, il fallut se décider à le conduire à Bushir à travers le Golfe-Persique. L’entreprise était hardie, car le bateau n’avait été construit que pour la navigation fluviale : aussi roulait-il beaucoup, quoiqu’on eût mis à fond de cale les canons et les objets les plus lourds ; il finit cependant par atteindre sa destination, mais non sans avoir failli plusieurs fois faire naufrage.

Le résident anglais de Bushir, le capitaine Heanel, mit à la disposition de l’expédition toutes les ressources de la compagnie des Indes, et bientôt l’Euphrate fut en état de se remettre en route ; mais alors surgit une nouvelle difficulté : un certain nombre de matelots, dont le courage n’avait pas faibli pendant les plus dures épreuves, refusèrent de s’embarquer de nouveau, et préférèrent se rapatriera leurs propres frais plutôt que de revenir sur leurs pas et d’affronter une nouvelle traversée du golfe.

S’étant fait remorquer jusqu’à Bassora, le colonel remonta le Tigre, dont les rives sont boisées et très pittoresques ; mais, à cette saison de l’année (septembre), les eaux étaient basses, et la navigation très difficile. Son arrivée à Bagdad fut pour le colonel Chesney un véritable triomphe, car c’est dans cette ville qu’en 1831 il avait, de concert avec M.. Taylor, conçu l’idée de l’expédition qu’il accomplissait en ce moment. La population étonnée couvrait les quais et les toits des maisons, et levait les bras au ciel en louant le prophète. Bagdad est une ville de 80,000 âmes, qui, bien que déchue de son ancienne splendeur, a conservé cependant quelques fabriques de tissus et d’impression sur toiles, des tanneries et corroieries, des poteries et des savonneries ; mais c’est surtout du commerce de transit qu’elle tire son importance, elle est l’entrepôt des marchandises qui s’échangent entre les provinces méridionales de la Perse, l’Inde et l’Arable d’une part, l’Europe ou la Syrie de l’autre. Les envois de l’Inde s’effectuent par Bassora, et remontent le Tigre sur de grandes barques, tandis que le trafic avec la Perse méridionale et la Syrie s’opère au moyen de caravanes dont les plus importantes, celles d’Alep et de Damas, comptent souvent plus de 2,000 chameaux. C’est des dépôts établis dans ces deux villes que Bagdad tire la plupart des articles manufacturés d’Europe destinés à la consommation de la région intérieure. Il est facile de comprendre quelle importance aurait pour cette ville l’établissement de communications rapides et régulières entre les côtes de la Méditerranée et celles du Golfe-Persique, et par conséquent l’accueil enthousiaste fait au colonel Chesney.