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son enfance, de sa jeunesse, des premières émotions de sa vie ; alors il s’émeut, sa destinée lui apparaît, et parfois il pleure à sanglots.

Ceux qui affectent le cynisme et qui disent : Après tout, ça m’est bien égal ! mentent aux autres pour essayer de se mentir à eux-mêmes et n’en sont pas moins troublés. Il n’y a qu’à les voir ; tous sans exception, ils ont un geste qui les trahit ; qu’ils parlent ou qu’ils restent silencieux, à chaque instant ils secouent brusquement la tête comme s’ils voulaient rejeter leurs cheveux en arrière, mais en fait pour chasser une idée tenace, persévérante, que rien ne lasse, qui subtilement profite de toutes les inflexions de la pensée pour revenir, s’imposer et s’emparer de l’être tout entier. Bien souvent, pour vaincre cet invincible ennemi, le condamné essaie de lire. S’il est illettré, on feuillette devant lui des livres à images que ses yeux regardent et ne voient pas. S’il sait lire, il demande des voyages, des romans, ceux de Fenimore Cooper surtout, qui l’arrachent à son milieu, l’emmènent dans un monde d’aventures, chez des peuples où la loi est embryonnaire, où il est glorieux de tuer, où pour vivre il faut lutter, combattre, où toute fortune est promise au plus hardi, au moins scrupuleux ; mais il a beau se raidir, s’astreindre à relire la même page, le sens lui échappe : trop plein de sa propre histoire, il n’a pas compris celle que l’auteur a racontée. Parfois, — Momble était ainsi, — il s’absorbe dans la lecture et dans l’étude des livres de prières, dont il s’efforce de se pénétrer. Qu’y cherche-t-il ? Une consolation peut-être, à coup sûr une espérance de pardon, une promesse de vie future et de délivrance.

Il est un homme qui a de droit ses grandes entrées dans la cellule des condamnés à mort, c’est l’aumônier de la Roquette, à qui revient le pénible devoir d’accompagner le malheureux jusqu’à la première marche au-delà de laquelle l’éternité commence. Le prêtre qui remplit aujourd’hui cette douloureuse mission est un saint. Sans grand espoir peut-être d’amener au repentir des âmes si violemment écartées du bien, il cherche, à force de charité, de patience, de douce énergie, à faire entrer quelques notions humaines dans ces cerveaux atrophiés. Ceux mêmes qui l’ont repoussé le plus durement, qui aux premiers jours ont dit : « Je ne crois pas à toutes ces bêtises-là, c’est bon pour des femmes, » finissent par subir l’ascendant de son inépuisable mansuétude. A. voir ce vieillard chétif et suppliant qui les conjure de penser à leur âme immortelle, qui leur parle d’un Dieu qui lui-même souffre quand il ne peut pas pardonner, qui ne demande au coupable, pour le faire asseoir à sa droite, qu’un instant de repentir sincère, plus d’un a été ému, s’est abandonné au soulagement de pouvoir enfin montrer sans réserve et sans danger toutes les gangrènes qui le rongeaient. Avec un tel homme, on est sans défiance, on sait qu’il ne répétera pas les confidences qu’il a