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bocages. Dans les plaines, la petite propriété et la petite culture tiennent moins de place. La population y est agglomérée dans de gros villages ou dans les bourgs ; elle a moins de fixité dans les habitudes, elle est moins dépendante ; les oppositions de la fortune et de la misère sont plus fréquentes et plus sensibles ; les rapports avec les villes sont plus nombreux et plus étroits. Aussi les habitans des plaines ont-ils des tendances, des convoitises et des idées que ne partagent pas les petits propriétaires ou les petits cultivateurs des collines et des vallées. Ils sont plus ouverts aux doctrines démocratiques et fournissent plus d’adeptes à la propagande révolutionnaire. Comme compensation, ils ont un goût plus vif pour l’instruction. L’on a remarqué que les maremmes, contrairement aux autres parties de la Toscane, ont donné un très grand nombre de volontaires garibaldiens. Les établissemens industriels qui y sont nés et y prospèrent depuis quelques années ont fait des sacrifices importans pour l’instruction de leur personnel. La société anglaise qui exploite les mines de cuivre de la Cava a ouvert des écoles pour les deux sexes. Outre la lecture, l’écriture et le calcul, on y enseigne la musique et le dessin. Les mêmes industriels ont fondé aussi une caisse d’épargne et distribuent des dots aux jeunes filles des familles ouvrières. L’établissement de Lardarello, pour la production de l’acide borique, présente des institutions analogues : des écoles primaires pour les enfans, des écoles techniques pour les jeunes gens, un enseignement musical. Sous toutes ces influences, la population du pays, en même temps qu’elle s’accroît, se transforme ; d’autres usages, d’autres idées prennent lentement la place des idées et des usages traditionnels.

Voilà quelles sont aujourd’hui les mœurs des populations rurales de la Toscane. Elles se rattachent par le lien le plus étroit à l’organisation agricole et industrielle en vigueur dans le pays. Les vieilles relations sociales se modifient, elles perdent leur simplicité et leur cordialité primitives. Cette permanence des usages locaux, qui en étaient le côté, pittoresque, tend à disparaître. C’est que dans tous les pays de l’Europe occidentale les mêmes procédés industriels et agricoles s’introduisent, les mêmes contrats agraires, les mêmes lois civiles, la même répartition des produits. Les populations des campagnes, qui semblaient le plus à l’abri de cette invasion dès tendances et des habitudes modernes, commencent à en être de toutes parts pénétrées. L’unité de la civilisation matérielle entraîne à sa suite l’uniformité dans la vie civile, car c’est le régime économique d’un peuple qui, plus que toute autre cause, détermine sa physionomie extérieure, ses mœurs et ses rapports sociaux.


PAUL LEROY-BEAULIEU.