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service militaire en Danemark, quitta ses foyers : il ne resta pour les recruteurs prussiens que les infirmes, les boiteux, les bancals et les sourds. Ce n’en était pas moins toute une série d’exils qui désolaient et ruinaient beaucoup de pauvres familles, et le gouvernement prussien prenait des mesures pour que ces exils devinssent définitifs. L’émigration des vaincus entrait fort bien dans les vues du vainqueur.

Au mois de février suivant, le cabinet de Berlin ordonna que les élections eussent lieu dans le Slesvig pour le parlement de la confédération allemande du nord, tant il avait hâte de consolider les attaches de sa nouvelle annexion. Ici cependant s’offrait un piège où l’habileté de la Prusse allait se laisser prendre. Les habitans danois du Slesvig septentrional, par ce vote qu’on leur imposait, et auquel, après réflexion, ils n’eurent garde de se soustraire, allaient avoir une occasion de se compter et d’affirmer leur nationalité devant la Puisse et l’Europe ; ils seraient d’autant plus fondés ensuite à revendiquer l’exécution de l’article 5 du traité de Prague. Le vote fut significatif ; il démontra clairement que la population danoise, soit en majorité plus ou moins prononcée, soit presque sans mélange d’autres élémens, occupe les districts situés au-delà d’une ligne passant au sud de Flensbourg et allant rejoindre par le nord de Tonder la côte occidentale de la péninsule. La moitié du Slesvig située au nord de cette ligne, en nommant des députés de nationalité danoise, se déclarait au moins par les quatre cinquièmes des voix pour sa réunion au Danemark. Toutes les fois qu’on a parlé de diviser le Slesvig, c’est cette ligne que le Danemark a réclamée. C’est la vraie, la nécessaire limite de partage : nous avons vu plus haut un comité de la chambre prussienne en faire l’aveu. — Le vote ordonné par la Prusse elle-même avait en réalité cette signification ; mais M. de Bismarck faisait la sourde oreille : son seul plan de conduite à l’égard du Slesvig allait être de gagner du temps et de germaniser.

Le conflit survenu à propos du duché de Luxembourg parut toutefois l’ébranler un instant. Il sembla qu’en ce moment critique il voulût régler ses comptes. Le 7 mai 1867, le même jour où une conférence s’ouvrait à Londres, et alors qu’on pouvait s’attendre à une discussion générale des affaires européennes, il daigna enfin communiquer officiellement au roi Christian IX ce traité de Prague qui intéressait si fort le Danemark, et il se déclara prêt à ouvrir des négociations pour l’exécution de l’article 5. Au mois d’octobre, des conférences, ou plutôt de simples pourparlers dénature à n’engager personne, s’entamèrent en effet à Berlin entre un conseiller de légation prussien et M. de Quaade, ministre da Danemark ; il fut