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Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 85.djvu/699

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mettait Cuvier, se modifient lentement sous l’empire du temps, des circonstances et des énergies avec lesquelles chaque individu et chaque race « combattent le combat da l’existence. » L’individu qui apporte en naissant une modification de ses organes légère, mais néanmoins avantageuse, réussira dans la vie mieux qu’un autre. Il aura donc toutes chances de laisser la plus nombreuse postérité. Si la modification avantageuse s’est transmise, ce qui peut arriver par hérédité, ses descendans à leur tour auront chance de mieux réussir que leurs contemporains. La modification ira donc, selon toutes les probabilités, en se généralisant, par la même loi de fatalité qui fait qu’un peuple fort absorbe un peuple faible ; de la sorte, après un temps plus ou moins long, toute la race finira par présenter la modification qui n’était qu’individuelle à l’origine. Et comme il n’y a pas de raison pour que le même phénomène si simple, si naturel, ne se répète pas indéfiniment avec toutes les variations imaginables, on conçoit qu’il puisse aboutir, dans l’infini du temps, à cette multiplicité de formes et de caractères qui distinguent à nos yeux les espèces animales.

M. Darwin dit, dans les pages où il traite de l’instinct, que, s’il était possible de prouver qu’une habitude peut devenir héréditaire, toute distinction entre l’habitude et l’instinct s’effacerait absolument. Le procédé littéraire de M. Darwin est de pousser partout son lecteur plus loin que lui-même ne semble aller. Il donne d’un air de doute les meilleurs argumens du monde, et on s’étonne, à chaque instant, de voir l’auteur si peu convaincu, quand on l’est si bien soi-même. Et en effet on ne saurait contester que de jeunes chiens couchans tombent souvent en arrêt dès la première fois qu’on les lance, et même mieux que d’autres depuis longtemps exercés. Le sauvetage est héréditaire chez certaines races, de même que chez le chien de berger l’habitude de tourner autour du troupeau. Tous ces actes sont accomplis sans le secours de l’expérience par les jeunes aussi bien que par les vieux, et certainement en dehors de toute notion de but, au moins la première fois. On objecterait en vain que les seules habitudes imposées par l’homme aux bêtes se transmettent de la sorte. Plus d’un exemple, emprunté aux animaux sauvages, prouve le contraire. Le meilleur est peut-être ce que nous voyons faire à un oiseau de nos pays, le loriot. Il a un nid très particulier, en berceau ; il le suspend à la fourche d’une branche, cousu par les bords avec des herbes flexibles et toujours des bouts de cordon, de lacet ou de ficelles. Pas de nid de loriot sans quelque lien ouvré par la main de l’homme. Si c’est une habitude, elle est héréditaire ; si c’est un instinct, on conviendra du moins qu’il ne remonte pas au commencement du monde.

De naissance, un individu ou plusieurs individus de la même