Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 85.djvu/762

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
756
REVUE DES DEUX MONDES.


car, si la liberté est parfois dangereuse lorsqu’on la veut restreindre et la comprimer au lieu de la laisser se répandre et même s’égarer, elle devient véritablement féconde, en dépit de ses excès même, le jour où elle est accordée sans arrière-pensée. Cette arrière-pensée existe dans l’esprit de ceux qui ont le plus vivement réclamé la liberté de l’enseignement supérieur. Nous savons que M. de Bonnechose n’a pas craint d’apporter à la tribune du sénat ces paroles étranges, qui sont la condamnation la plus éclatante de la méthode expérimentale et qu’on croirait écrites par un des juges de Galilée : « Il faut démasquer cette fausse science, qui est la plus cruelle ennemie de la vraie. La vraie science est un don du Dieu créateur des intelligences. Vous la reconnaîtrez toujours infailliblement à deux caractères : elle est toujours modeste et religieuse. La fausse science au contraire, vaine, orgueilleuse, ne pouvant expliquer Dieu, se révolte contre lui, elle le nie ; elle voudrait le chasser du ciel, de la terre, du monde entier. » Et M. de Bonnechose ajoutait : « Il ne peut être question d’une liberté illimitée dont nous ne voudrions à aucun prix, qui compromettrait tous les intérêts sacrés confiés à notre garde. Il faut une liberté qui, en donnant satisfaction aux pères de famille et à la liberté de conscience, soit cependant contrôlée et surveillée par le gouvernement dans la juste mesure où l’intérêt public demande qu’elle le soit. »

Une telle prétention, si elle devait être suivie d’effets, n’irait à rien moins qu’à constituer l’autorité ecclésiastique juge de toutes les doctrines philosophiques et même littéraires ; mais il a suffi qu’elle se produisît pour être énergiquement repoussée, et si elle osait encore s’affirmer, nul doute qu’elle ne fût immédiatement suivie d’une grande et salutaire réaction. Il est d’ailleurs un moyen d’empêcher que ces prétentions ne puissent exercer une influence quelconque sur les rapports de l’état et des corps savans, c’est que l’état, se renfermant dans le rôle qui lui convient, se déclare incompétent à juger des doctrines et repousse énergiquement toutes les tentatives qui seraient faites pour le tirer de la neutralité où désormais il se devra enfermer. À ceux qui viendraient alors lui demander de sévir contre le matérialisme et la libre pensée, il répondrait : « Vous m’avez demandé la liberté de l’enseignement supérieur, et je l’ai donnée. Profitez-en pour ouvrir des facultés de médecine orthodoxes et des universités où vos docteurs trouveront moyen de concilier vos croyances avec les découvertes modernes ; mais en donnant la liberté, je l’ai donnée à tous ; en vous accordant le droit de professer librement vos opinions, j’ai reconnu ce droit à vos adversaires, et je ne saurais y apporter une restriction sans être accusé de vous avoir livré l’avenir scientifique de la France. Je pouvais être un censeur, et c’était mon devoir d’exercer une surveillance