Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 85.djvu/801

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

« panthère, » de ce « chat sauvage, » comme l’appelle encore de nos jours un historien fantaisiste de la Grande-Bretagne, M. Fronde. Le XIXe siècle, qui a le goût des réhabilitations historiques, non pas seulement, il faut le reconnaître, par un simple esprit de revanche contre les jugemens du passé, mais par un amour réel de la vérité et de la justice, ne pouvait manquer de produire des écrits vengeurs pour la mémoire de la reine d’Ecosse. En effet, de nombreux recueils de pièces inédites, composés dans ce sens, ont paru depuis une trentaine d’années. Non content d’avoir soigneusement étudié tous ces matériaux, aussi bien que les autres documens fournis par les archives d’Angleterre, d’Ecosse et d’Espagne, M. Jules Gauthier, un chevalier réfléchi de Marie Stuart, a fait tout exprès un voyage à Edimbourg, afin d’y consulter les manuscrits originaux; il a en outre visité les lieux qui furent le théâtre du drame qu’il raconte. En partant, M. Gauthier inclinait à croire à la culpabilité de Marie Stuart; il est revenu, nous dit-il, convaincu de son innocence. Il était naturel qu’il cherchât à nous faire partager cette conviction : de là son Histoire de Marie Stuart, où il s’est attaché à traiter tous les témoignages par les procédés de la critique la plus sévère. Tout le livre mérite en effet une sérieuse attention; tout y a cet air de vérité simple qui vous attire malgré vous. Il faut lire, entre autres, le chapitre VII du premier volume, où l’auteur raconte l’arrivée des assassins de Darnley à Kirk-of-Field et la scène de l’explosion. Le corps du roi, trouvé à quelque distance des décombres, ne portait aucune trace de brûlure ni de contusion; l’examen du cadavre prouvait que Darnley avait été étranglé avant l’explosion, et toutes les circonstances rassemblées par M. Gauthier tendent à établir que Marie Stuart ne fut pour rien dans le guet-apens, ni dans le meurtre. Que si elle épousa ensuite le comte Bothwell, il ne faut pas non plus en rien inférer contre sa conduite lors de l’assassinat. D’après les documens reproduits et commentés par M. Gauthier, le mariage de la belle reine avec cet affreux personnage fut la suite, non pas d’un rapt de comédie, comme l’ont affirmé quelques historiens, mais d’un acte de violence sauvage où cette princesse fut en réalité la victime de Bothwell et non sa complice. Bothwell, soutenu par les seigneurs félons dont la trahison avait été préméditée dans le fameux souper d’Ainslie, put tout se permettre à l’égard de sa prisonnière; la malheureuse reine, de son côté, crut qu’elle ne pouvait laver que par le mariage « l’outrage fait à son honneur, sans prévoir que par Cet acte, le plus funeste de sa vie, elle allait fixer sur elle les soupçons et fournir à ses ennemis les prétextes qu’ils cherchaient pour la perdre. » Ajoutons qu’elle autorisait ainsi en apparence la postérité à prendre parti pour ses détracteurs, tant il est vrai que, dans certains cas, les fautes, aussi bien les fautes politiques que les fautes privées, s’aggravent par les moyens mêmes qu’on emploie pour les réparer!


JULES GOURDAULT.