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de ces malheureux est plus dur que celui des esclaves noirs, car dans ces derniers le planteur voyait sa propriété, qu’il était dans son intérêt de ménager, tandis que du Chinois il ne songe qu’à tirer le plus de besogne possible en un temps donné; il veut l’user! L’émigration des coulies pourrait cependant devenir un bienfait pour ces contrées inégalement fertiles, en les débarrassant du trop-plein de la population; mais il faudrait qu’elle fût dirigée par des bureaux honnêtes et désintéressés; autrement, l’on sera obligé de convenir que la traite des esclaves n’a fait que changer de nom. Ce ne sera pas, certes, le moindre résultat de la facilité croissante des voyages, que ce contrôle incessant des abus de toute sorte par des représentans de la civilisation européenne, contrôle vigilant et généreux qui empêche le mal de prendre racine.

M. le docteur Semper, aujourd’hui professeur à l’université de Wurzbourg, a rapporté d’un séjour aux îles Philippines une série d’esquisses dans lesquelles il nous peint le sol et le climat, la faune, les produits divers et les habitans de ces pays encore si peu connus. Parmi les résultats scientifiques de ce voyage, on peut citer une nouvelle théorie des récifs de coraux, fondée sur des observations qui méritent d’être prises en considération. On sait que, d’après Darwin, les attols prennent naissance sur des roches qui, par suite d’une dépression du lit de la mer, s’enfoncent peu à peu sous les eaux; les récifs des côtes se formeraient, au contraire, lorsque les forces souterraines soulèvent le rivage. Darwin s’appuie principalement sur ce fait, que les coraux ne peuvent vivre qu’à une faible profondeur au-dessous de la surface des eaux; mais M. Semper lui oppose les observations de Carpenter et de Pourtalès, qui semblent démontrer que ces zoophytes se développent à des profondeurs considérables dès qu’ils rencontrent un fond rocheux où ils puissent se fixer. L’étude attentive du groupe de récifs des îles Pelew laisse d’ailleurs reconnaître sur un espace d’à peine 60 milles toutes les variétés de récifs décrites par Darwin, et il serait difficile d’admettre qu’elles ont été produites à la fois par une dépression et par un exhaussement du sol. En résumé, M. Semper pense que les attols sont les résultats de soulèvemens, et que le travail des coraux commence à des profondeurs considérables.

Dans le dernier chapitre de son livre, M. Semper trace un tableau intéressant de l’état moral et intellectuel de la population des Philippines. Sa conclusion, s’il y en a une, c’est que l’avenir appartient aux métis des indigènes et des colons espagnols. Sous un climat pareil, il n’est pas permis de compter sur une affluence d’Européens comparable à celle qui a fait la prospérité de l’Australie; le progrès est donc ici entre les mains de la population active et intelligente qui est née du croisement des races.


R. RADAU.


C. BULOZ.