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Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 85.djvu/870

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point sa confiance. Cependant deux grandes questions ont surtout préoccupé Brougham et tenu en éveil jusqu’à la fin son active sollicitude : l’éducation populaire et la réforme législative. Bien qu’il fût loin d’être un démocrate, il n’avait garde d’étaler cette indifférence imprévoyante pour les intérêts du peuple qui a ruiné en France l’influence de la bourgeoisie. Il comprenait qu’il y avait un terrain sur lequel whigs, tories, radicaux, pouvaient se rencontrer sans se combattre et que leur travail commun devait féconder, celui de l’instruction populaire. Aussi lui doit-on la création de ces instituts mécaniques, où depuis plus de quarante ans les ouvriers reçoivent l’instruction professionnelle, et qui comptent aujourd’hui des élèves par milliers. C’est là une des institutions les plus belles et les plus noblement démocratiques de l’Angleterre. Brougham se vantait avec raison d’en avoir posé la première pierre, et quand il parlait en termes éloquens « de ces hommes qui ont mérité le titre de précepteurs de l’humanité, dont la renommée est l’héritage de leur patrie et dont le nom traversera les âges, » il est permis de penser qu’il croyait voir sa place déjà marquée dans cette phalange glorieuse.

Il est plus difficile de déterminer la part d’influence et d’initiative qui revient à Brougham dans le grand travail de révision que l’Angleterre a fait subir à sa législation criminelle et civile depuis le commencement du siècle ; nous ne saurions le faire sans entrer dans des détails trop techniques qui dépasseraient le cadre de cette étude. Brougham ne se contenta pas de travailler en commun avec Mackintosh et Romilly à l’adoucissement des dispositions barbares qui déshonoraient encore les lois pénales de l’Angleterre, il prit aussi dans l’ordre civil l’initiative de plusieurs réformes non moins importantes. La session de 1828 fut marquée par un long discours qu’il prononça sur un projet de refonte générale de la 1égislation et de la procédure; ce discours fut considéré comme un véritable tour de force oratoire, car il trouva moyen de promener ses auditeurs pendant six heures à travers le dédale des lois pénales et civiles sans les égarer un instant et sans leur faire connaître la lassitude ni l’ennui. Ce fut d’une voix brisée par la fatigue qu’il termina ainsi : « Le plus grand guerrier de notre âge, celui qui a conquis l’Italie, humilié l’Allemagne, fait trembler le Nord, disait en se glorifiant : «J’irai à la postérité avec mon code à la main. » Il avait raison, car les souverains ne sont guère à envier que pour le pouvoir qu’ils ont de faire le bien. On croyait honorer Auguste en disant qu’il avait trouvé Rome de briques et qu’il l’avait laissée de marbre; mais combien l’éloge sera plus beau encore quand on pourra dire d’un souverain : Il a trouvé la justice coûteuse et il l’a laissée gra-