Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 85.djvu/879

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

encore, mais moins éclatant, pour déterminer les lords à subir cette grande mesure, qui devait assurer à l’Angleterre trente-cinq glorieuses années de paix intérieure et de liberté.

Les premiers temps qui suivirent l’adoption du bill de réforme marquent l’apogée de la gloire et de la popularité de Brougham. Bien qu’au jugement de l’histoire l’honneur d’avoir conçu et réalisé cette grande mesure revienne surtout à lord John Russell et à lord Grey, c’était principalement au chancelier que le public mal informé s’obstinait à en témoigner sa reconnaissance. La foule acclamait sa voiture dans la rue ; le Times l’accablait chaque matin des éloges les plus écrasans, et les journaux de l’opposition eux-mêmes exaltaient sa supériorité aux dépens de ses collègues. Il faut dire que jamais ses facultés si diverses n’étaient parvenues à un développement aussi complet et aussi brillant. Tout en remplissant avec conscience et activité les devoirs multiples de sa charge, il continuait de poursuivre ses études dans toutes les directions. Tourmenté par l’ambition secrète d’éclipser la gloire du plus illustre de ses prédécesseurs, le chancelier Bacon, il renouvelait les expériences de sa jeunesse sur les phénomènes de l’optique, en même temps qu’il composait des traités philosophiques destinés, dans sa pensée, à faire oublier l’Instauratio magna. On nous a raconté qu’à cette époque de sa vie, l’emploi de ses journées présentait le mélange d’occupations graves et frivoles le plus singulier qui se pût imaginer. Le nombre et la variété de ses travaux ne l’empêchaient nullement de remplir avec exactitude les devoirs d’un homme du monde et d’en goûter avec ardeur les plaisirs. Il recevait avec affabilité les étrangers qui sollicitaient l’honneur de lui être présentés; il entretenait avec quelques femmes distinguées une correspondance non dépourvue de coquetterie; il cultivait à grands frais cette réputation de conversation brillante qui, en lui ouvrant les salons de Holland-House, avait été l’origine de sa fortune politique. Il nous reste la tâche pénible d’obscurcir par quelques ombres ce brillant tableau, et de montrer comment, par ses inconséquences plutôt encore que par ses fautes, Brougham devait bientôt dissiper au vent les trésors de la faveur publique.


IV.

Le parlement avait été dissous aussitôt après l’adoption du bill de réforme malgré la résistance du roi, qui commençait à se plier difficilement aux exigences de ses ministres. Les élections nouvelles avaient donné au cabinet une majorité tellement considérable que les tories formaient à peine un parti dans la chambre des com-