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Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 85.djvu/925

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personnifier cette aurore qui paraît sentir comme un être humain. On dirait que, semblable aux êtres jeunes chez qui la vivacité d’un impatient désir crée la réalité du plaisir physique qu’appelle l’imagination, cette aurore est comme pénétrée par avance des ardeurs du jour qu’elle précède et qu’elle attend. Oui, excusable fut l’erreur de ces vieux polythéistes, facile la tâche des poètes et des peintres qui ont si souvent figuré ce phénomène : assis sur un banc du bateau, je me murmure ces vers du Tasse, que je trouvais féeriques autrefois, mais qui en ce moment me paraissent presque prosaïques, car ils expriment simplement avec exactitude les sensations que j’éprouve :

Cosi pregava, e gli sorgeva a fronte
Fatto già d’auro, la vermiglia Aurora,
E ventilar nel petto e nella fronte
Sentia gli spirti di piacevol ora,
Che sovrà il capo suo scotea dal grembo
Della bell’ alba un rugiadoso nembo.

Enfin voici le fiancé attendu, c’est-à-dire le soleil, et il nous montre que nous sommes littéralement arrêtés devant la porte de l’Italie, attendant qu’on nous ouvre. Cette porte, élevée en pleine mer et qui nous ferme tout horizon, se compose d’une haute muraille circulaire qui embrasse la baie où stationnent les navires et la dessine avec une rectitude toute géométrique. Dans la partie inférieure de ce portique circulaire sont pratiquées de vastes arcades sous lesquelles passent les barques chargées de conduire à la ville les voyageurs et leurs bagages. Cela est élégant, noble, solennel et un peu théâtral ; mais cette dernière épithète ne doit pas être entendue dans un sens défavorable, car ce portique est en toute réalité le rideau de pierre qui sur ce point cache la scène du magnifique spectacle de l’Italie. La beauté du rideau entre pour une part dans le plaisir multiple que donne un théâtre, et celui-là est en parfait rapport avec le caractère de l’architecture romaine ; il prépare merveilleusement l’œil à la comprendre. En levant la tête, je lis sur la frise que ce décor circulaire a été élevé par le pape Alexandre VII, ce qui nous reporte au milieu du XVIIe siècle ; sans le secours de l’inscription, on aurait pu cependant deviner, au caractère de l’édifice, au goût fastueux dont il garde l’empreinte et à la sensation de pompe qu’il donne à l’œil, qu’il appartenait à une époque où l’influence architecturale de Bernin était toute-puissante. En élevant ce beau décor, Alexandre VII s’est montré fidèle aux traditions du nom qu’il portait. Il s’appelait Chigi ; c’est un nom cher aux arts. Le banquier Agostino Chigi eut une âme digne de comprendre et d’aimer Raphaël. Sans lui, nous n’aurions pas aujourd’hui le bonheur d’admirer quelques-unes des œuvres les plus importantes de ce grand