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Page:Revue des Deux Mondes - 1871 - tome 92.djvu/156

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l’armée. L’on eut la fâcheuse idée, comme à Paris, de reconstituer arbitrairement les cadres de la garde mobile et de faire nommer les officiers par les soldats, mesure funeste sur laquelle il fallut bientôt revenir. Dans plusieurs bataillons, des chefs énergiques, anciens officiers de l’armée, s’étaient vus rejetés pour avoir voulu maintenir la discipline. Une mesure non moins préjudiciable, mais plus inique, fut encore prise à l’instigation du gouvernement de Paris. Les décisions des conseils de révision pour la garde mobile furent cassées et soumises à de nouvelles épreuves, indéfiniment répétées. Des réformés durent, dans un délai de quatre mois, se présenter jusqu’à quatre fois devant des médecins, dont les décisions s’annulaient toujours les unes les autres. C’était violer toutes les lois et tous les droits. Qu’en résulta-t-il ? C’est qu’il n’y eut plus d’autre cas d’exemption que la perte de quelque membre. Les sujets les plus débiles et les plus maladifs furent envoyés aux armées. Qui pourra jamais faire le calcul du nombre de morts que ces mesures nous ont valu ? Surtout qui pourra jamais apprécier à sa juste valeur l’affaiblissement qu’en éprouvèrent nos armées ? Ainsi s’explique la lenteur des mouvemens de nos troupes, cause principale de leurs défaites ; ainsi l’on comprend que l’armée de Bourbaki, composée en grande partie d’aussi chétifs élémens, n’ait pu opérer sa retraite à temps, et qu’elle ait été cernée par les robustes et rapides soldats de Manteuffel. Déplorables et homicides illusions de l’ignorance, qui croit fortifier les armées en grossissant démesurément leur nombre, et qui arrache aux familles des milliers de jeunes gens faibles, mais utiles, pour les jeter immédiatement dans les hôpitaux, ou les semer impuissans et délaissés sur toutes les routes ! Qu’est-ce que cet amour excessif de l’égalité qui ne tient aucun compte de l’inégalité des forces ? Nos armées furent des foyers d’épidémie ; il n’en pouvait être autrement. Combien ne se fût-on pas montré plus humain et plus prévoyant en donnant pour instruction aux médecins de ne prendre que des hommes vraiment valides !

La même imprévoyance se manifesta dans l’équipement de nos troupes. On ne tint aucun compte de l’hiver, qui approchait, qui s’annonçait rigoureux ; on habilla misérablement nos infortunés soldats, on visa surtout à un rabais excessif dans les livraisons ; on ne sut pas non plus les contrôler, et quelques fournisseurs firent des profits abusifs. On avait perdu de vue ce mot du maréchal de Belle-Isle : « toute parcimonie à la guerre est un assassinat. » Pour comble de malheur, l’hiver fut d’une exceptionnelle sévérité ; mais l’inexpérience administrative accrut encore tous ces maux en exposant ces recrues déguenillées à des épreuves, à des souffrances qui n’étaient pas nécessaires, et qui avaient pour but, disait-on, de les former. On les soumettait, sous prétexte d’exercices, à une inutile et