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Page:Revue des Deux Mondes - 1871 - tome 93.djvu/269

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cipe en est devenu si puissant, les racines en sont déjà si profondes, que tout essai pour l’enlever au pays n’aboutirait qu’à des catastrophes nouvelles. Il est d’autant plus impossible d’écarter ou de limiter dans la matière qui nous occupe le suffrage universel, qu’une des principales ressources de nos villes est un impôt de consommation, l’octroi. Les Anglais, dont les taxes locales ne pèsent que sur la propriété foncière, sont moins liés à cet égard. Toutefois, s’il est dangereux de manifester envers le suffrage universel la moindre défiance, on peut, sans y porter atteinte et dans son intérêt même, subordonner à certaines conditions le droit de participer aux élections municipales. Nos villes sont encombrées d’une population flottante, nomade, aventureuse, et la prudence commande de ne point abandonner à cette catégorie de personnes l’administration de nos cités. Il y aurait danger cependant à se montrer trop rigoureux sur la durée du stage nécessaire pour l’obtention du droit électoral. Dans la commune, un an de domicile nous paraît être ce que l’on peut raisonnablement exiger : aller plus loin, ce serait montrer un parti-pris d’exclusion envers toute une classe de citoyens, ce serait retomber dans l’arbitraire, et tôt ou tard on aurait à réprimer des révoltes. Les conditions de l’éligibilité nous semblent autant que possible devoir se rapprocher de celles de l’électorat.

Sortant ainsi du suffrage universel sans restriction, nommé pour une période de trois ans, rééligible annuellement par tiers, le conseil municipal, dans la sphère des attributions que la loi concède aux localités, devient l’administrateur unique de la cité. Il importe notamment que la situation du maire soit changée. Aujourd’hui le gouvernement représentatif n’existe réellement pas dans nos villes. Le premier magistrat municipal a des pouvoirs beaucoup trop étendus et surtout trop personnels. En fait, et même en droit, à certains points de vue du moins, c’est un maître absolu, puisqu’il peut prendre des arrêtés sans consulter l’assemblée municipale. Grâce à notre législation, le maire est un personnage prédominant dont la volonté prévaut souvent sur celle du conseil. La loi de 1867, en définissant neuf cas où la municipalité peut prendre des délibérations réglementaires, c’est-à-dire exécutoires par elles-mêmes, ne dit-elle pas : « en cas de désaccord entre le maire et le conseil municipal, la délibération ne sera exécutoire qu’après l’approbation du préfet ? » Ainsi le premier magistrat communal, à lui seul, peut faire échec au conseil tout entier. Il en résulte que le maire porte d’ordinaire tout le fardeau de l’administration de la cité. Nulle situation ne saurait être plus opposée aux principes du self-government. C’est à tort que l’on invoquerait au sujet des localités les règles fameuses de la séparation des pouvoirs, et que l’on voudrait distinguer dans chaque ville l’exécutif et l’assemblée délibérante.