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et d’affection, et pour aviser aux moyens de soutenir et de continuer une guerre désolante et ruineuse. Sans vouloir entrer ici dans la curiosité archéologique ou diplomatique de l’origine de nos états-généraux, qu’il me suffise de remarquer que trois événemens se sont produits dans le demi-siècle qui s’écoule de Philippe le Bel au roi Jean, à l’occasion desquels la France pouvait consolider l’acquisition qu’elle semblait avoir faite de la liberté politique et représentative. Ces trois événemens sont la lutte formidable de Philippe le Bel avec la papauté, l’indispensable besoin où fut la royauté des subsides des communes au xive siècle, et la guerre dynastique des Valois avec l’Angleterre. Philippe le Bel voulut faire prononcer la nation entre lui et Boniface VIII. Il convoqua les états-généraux en 1302. Ce fut leur première réunion solennelle ; jusqu’alors des convocations dépourvues de caractère défini avaient seulement indiqué l’inauguration prochaine d’une ère nouvelle de la monarchie. Les états de 1302[1] ont rempli le but que se proposait Philippe le Bel, et fondé l’ancien droit public ecclésiastique de la France ; mais ils n’ont pas valu au pays la conquête de sa liberté. Après Philippe le Bel, la faiblesse de ses successeurs et leurs nécessités financières pouvaient conserver à la France le vote et le contrôle de l’impôt par les états, qui n’ont pas su en profiter. Advenant les Valois, une nécessité nouvelle, le concours de la nation pour la solution de la question dynastique, le bon vouloir et l’honnêteté du roi Jean, la patience et la sagesse de Charles V, devaient rendre définitive la constitution nouvelle que les besoins d’une situation difficile introduisaient dans la pratique monarchique. Un brouillon coupable, Étienne Marcel, soutenu par la plèbe parisienne, a tout compromis, et fait un objet d’effroi du gouvernement des assemblées, à ce point que deux siècles après, lorsque les derniers Valois ont à leur tour appelé les états à leur aide, de grands et sages esprits comme Étienne Pasquier et Montaigne en ont conçu des craintes que la guerre civile est venue justifier. Ne rejetons pas toujours sur ceux qui nous gouvernent des fautes que nous avons partagées, des erreurs qui sont les nôtres, ou celles de tout le monde.

Le roi Jean convoqua donc les états-généraux dès 1350, au lendemain de son avènement. Sans doute il est à cet égard des idées toutes modernes et un langage aujourd’hui banal qui ne peuvent être prêtés au roi Jean ni aux états ; mais la reconnaissance de la souveraineté nationale en matière d’impôt, du concours nécessaire des peuples pour aviser aux grandes crises politiques, et par con-

  1. On a dit et cru que les états de 1302 n’avaient eu qu’un jour de durée ; cette séance de surprise, qui est racontée partout. C’est une erreur. On a retrouvé le dossier complet des états de 1302, qui ont eu huit jours de durée, ainsi que des états de 1308 et de 1317. Ils seront prochainement publiés.