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Page:Revue des Deux Mondes - 1871 - tome 93.djvu/521

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temps, mais bientôt Jean, serré de tous côtés, blessé deux fois en plein visage et parfaitement reconnu par l’ennemi, qui respectant sa valeur lui criait qu’il avait assez fait son devoir de chevalier, rendit son épée en la manière que Froissart a si dramatiquement racontée.

L’armée française est anéantie ; mais l’honneur de la bataille du roi s’élève au-dessus de l’accablement d’urne défaite. Le roi Jean à Poitiers devînt l’objet d’une légende. Ce fut dans l’Europe chevaleresque un cri général d’admiration, et dans Paris, stupéfié par la nouvelle, non-seulement il ne s’éleva pas une parole accusatrice, mais au contraire, à la place Mauberi, l’orateur populaire, le continuateur de Nangis, s’écriait avec un sympathique sentiment que, si tout le monde avait combattu comme le roi, on eût glorieusement triomphé. Tel est l’irrécusable témoignage de l’histoire[1]. Le roi s’était placé au-dessus des atteintes. C’était, hélas ! la France qui avait été vaincue, non le roi Jean. La présomptueuse impétuosité du maréchal, l’indiscipline de la chevalerie, la résolution du conseil de guerre sur l’avis de l’évêque de Châlons, le plan d’attaque lui-même peut-être, la prédominance acquise de l’infanterie sur la cavalerie, telles étaient les causes fatales du désastre dont les suites furent incalculables. Toutes les accusations retombèrent sur la chevalerie, et l’on ne s’en fit faute. Il y parut au tumulte des états de 1356, convoqués par le dauphin au lendemain de la défaite.

Ch. Giraud, de l’Institut.
(La suite au prochain n°)
  1. Rex franciœ Joannes, bellum aggrediens animose, pedester cum suis bellare disposuit, quod et fecit, et equis dimissis veniens in conflictu, immicos suos audacter et fortiter invadens, plures occidit et multos lethaliter vulneravit. Unde, si omnes alii nobiles et milites se ita gessissent strenue ut rex fecit, de inimicis gloriose triumphassent. Sed non sic fuit, etc. Chez les contemporains aucune critique ne s’est élevée contre l’ordre donné par Jean à sa réserve de mettre pied à terre pour combattre.