Page:Revue des Deux Mondes - 1871 - tome 93.djvu/654

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de sauver la vie de tant de personnes qui lui étaient chères. « Tu es au courant, lui dit-il, de ce qui s’est passé à propos de la mutilation des hermès ; si tu te tais, que tu aies ou non pris part à l’attentat, ton père et toi, nous-mêmes, nous sommes tous perdus. Si au contraire tu parles, tu obtiendras ton pardon, tu nous tireras du péril présent, et les terreurs de la cité se dissiperont. » Les autres prisonniers, les femmes, joignent leurs prières à celles de Charmidès. Andocide hésita longtemps ; le rôle de dénonciateur lui répugnait. Enfin vers le matin, vaincu par ces instances, il avait pris son parti ; il demanda à être entendu par le sénat. Voici le résumé de sa déposition.

« Euphilétos est le principal auteur de la mutilation des hermès. Il en fit la motion dans un banquet auquel j’assistais ; je m’opposai avec énergie à ce projet, et j’y refusai mon concours. Bientôt après, en montant un jeune cheval, je me brisai la clavicule, et me fis à la tête une forte contusion ; il me fallut garder le lit. Euphilétos profita de mon absence pour donner à ses amis l’assurance mensongère de mon consentement ; je m’étais, prétendait-il, chargé de l’hermès le plus voisin de notre demeure, celui qui a été consacré par la tribu Égéide. Ils exécutèrent donc leur projet à mon insu, pendant que j’étais retenu dans ma chambre ; on comptait que j’abattrais l’hermès que je viens de vous signaler ; voilà pourquoi il est seul resté intact. Quand ensuite les conspirateurs reconnurent à ce signe que je n’étais point leur complice, Euphilétos et Mélétos vinrent de leur part me menacer des plus terribles vengeances, si je ne me taisais. Je répondis que c’était non pas moi, mais leur crime même qui les perdrait. » En même temps, Andocide en appelait au témoignage de ses esclaves ; les magistrats pouvaient les mettre à la torture pour s’assurer qu’il avait dit vrai, et que la nuit où furent brisés les hermès il était dans son lit, tout à fait incapable de sortir, ou même de se lever.

On eut sans doute recours à ce cruel moyen, l’une des rares traces de l’antique dureté qui déshonorent le droit pénal d’Athènes. La déposition des serviteurs confirma celle du maître ; le sénat commença enfin à croire qu’on allait tenir la vérité. Entendu de nouveau, Andocide dénonça vingt-deux citoyens comme ayant accompli la mutilation des hermès. Dix-huit de ceux qu’il nomma, parmi lesquels Euphilétos et Mélétos, avaient déjà été désignés par Teucros ; les quatre autres, dès que leurs noms furent prononcés, s’enfuirent avant que l’on ne pût les saisir.

Telle est la manière dont Andocide, dans son discours sur les mystères, prononcé quinze à vingt ans après cette crise, expose son rôle et présente la déposition qu’il aurait faite alors dans le sénat ; mais il est permis de croire qu’il ne nous donne là, de tous ces évè-