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Page:Revue des Deux Mondes - 1872 - tome 100.djvu/126

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est-elle d’ailleurs contestable ? Comment vouloir que l’état y reste tout à fait étranger ? Pouvons-nous demander que la scène soit déclarée absolument libre, irresponsable ? L’impunité a-t-elle jamais été admise par aucun moraliste, par aucun législateur, par aucun homme de sens pour certains actes qui, dans un endroit public, outragent visiblement la morale ou provoquent le désordre ? Mais ici les difficultés commencent. Combien la limite ne sera-t-elle pas délicate à fixer, et combien, outre ce rôle de simple police, l’état sera tenté d’en jouer un autre ! Résistera-t-il au désir d’employer à ses fins cet instrument si puissant ? Tentation d’autant plus forte que le théâtre laissé à lui-même n’offre pas seulement ces peintures morales, salutaires ou corruptrices, qui semblent motiver l’intervention de l’autorité publique. Quoi qu’on fasse, il revêt un caractère politique ; il le revêt par l’allusion, par la satire, par la prédication, par la mise en scène, par le choix même des sujets. Resterait-il beaucoup du théâtre d’Aristophane, si on en ôtait la politique ? Dans un genre tout opposé, que seraient les Perses d’Eschyle, ce magnifique chant de guerre, sans le sentiment national qui les commente et les applaudit ?

La révolution ne s’était, dans sa première pensée, essentiellement libérale, occupée du théâtre que pour l’affranchir. Elle avait vu dans les entreprises théâtrales des spéculations particulières qui devaient profiter de l’émancipation générale de l’industrie. Le rapport de Chapelier et le décret de l’assemblée à la date du 13 janvier 1791 n’ont point une autre signification. Tout citoyen devenait libre d’ouvrir un théâtre ; d’ailleurs point de censure, point d’autorisation préalable. La révolution, dans sa seconde phase, ne devait point se renfermer dans ce rôle négatif. Elle voulut faire du théâtre comme des autres parties du luxe public une branche de l’enseignement national. Elle le soumit au comité de l’instruction publique. Elle eut l’œil particulièrement sur cette scène française, si goûtée de tous les esprits d’élite, si suivie alors, toute frémissante encore des succès enthousiastes que le XVIIIe siècle avait faits aux tragédies de Voltaire. Cette double scène du Théâtre-Français, telle qu’elle existait alors, ne pouvait être, ce semble, pour la tribune de la convention qu’une auxiliaire ou une rivale. D’abord on se préoccupa du côté moral du théâtre à développer. Les administrateurs du Théâtre-Français entrèrent dans cette pensée. Peu de jours avant de monter sur l’échafaud, Payan faisait appel aux écrivains de talent en invoquant ce qu’il nommait « la force morale des spectacles. » Dans ces termes, à côté de l’avantage de l’inspiration élevée et salutaire, on rencontrait un écueil, écueil tout littéraire, l’ennui qui naît de la fadeur ou de la déclamation. Sous le rapport politique, le péril était autrement grand. L’action de l’autorité, en se faisant trop