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Page:Revue des Deux Mondes - 1872 - tome 100.djvu/128

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La révolution, à l’égard des théâtres, avait commencé par la liberté illimitée ; elle avait continué par l’oppression, elle finit par le régime restrictif et réglementaire. La loi du 21 août 1790 n’était qu’une loi de police préventive ; elle confiait la police des théâtres et spectacles à l’autorité municipale dans les villes qui n’atteignaient pas un certain nombre d’habitans. Sous le régime de la concurrence, les théâtres s’étaient fort multipliés. On n’en comptait pas moins de quarante à Paris pendant les années les plus terribles de la révolution. Si la politique était impitoyable, la police morale laissait fort à désirer. Les scandales devaient aller en croissant pendant la réaction thermidorienne, ensuite sous le directoire. Chénier sert d’organe à la réaction qui se fait dans les esprits. Sa motion d’ordre au conseil des cinq cents (16 novembre 1797) est en ce sens très caractéristique. Il s’élève contre la a multiplicité indéfinie qui anéantit à la fois l’art dramatique, la véritable concurrence, les mœurs sociales et la surveillance légitime du gouvernement. « Il demande s’il n’est pas opportun de revenir à l’avis que Thouret avait émis le premier, et qui appliquerait sur cet objet aux différentes communes la base proportionnelle de population. De cette manière, il ne pourrait exister qu’un seul théâtre dans les communes au-dessous de 100,000 âmes. Il pourrait en exister deux dans chacune des principales communes de la république, Lyon, Bordeaux et Marseille. « Paris, ajoutait l’orateur, commune centrale des arts et sortant des proportions ordinaires, exigerait un article particulier. Il contiendrait le beau théâtre de l’Opéra, qui est unique par tous les arts qu’il rassemble, deux autres théâtres de musique en concurrence, et deux grands théâtres de déclamation, sollicités si fortement depuis trente ans par tous les littérateurs français et tous les amis de l’art dramatique. On laisserait encore établir dans Paris deux ou trois théâtres secondaires, parmi lesquels se présenterait en première ligne le théâtre du Vaudeville, réclamé par la gaîté française. » Ainsi on penchait vers un système ultra-restrictif qui fixait le nombre et les genres. On sait comment ces idées furent appliquées, non sans excès, par le premier empire dans l’organisation que reçurent les théâtres en 1807. Cette organisation demeura presque intacte jusqu’au décret du 6 janvier 1867, qui, tout en maintenant des théâtres subventionnés, établit dans une large mesure la concurrence et la liberté en matière d’entreprises et d’exploitations théâtrales. Mais achevons d’étudier l’expérience révolutionnaire en fait de luxe public : elle se présente sous une dernière forme, la plus frappante, la plus célèbre, la forme qu’elle revêt avec les fêtes patriotiques et religieuses.