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Page:Revue des Deux Mondes - 1872 - tome 100.djvu/150

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suisse. Le pignon tourné vers la rue est orné d’un balcon, et le toit, qui dépasse, est garni d’ornemens en bois découpé. Les habitations ne sont jamais isolées au milieu des champs qui en dépendent, comme en Flandre, en Angleterre, en Hollande et dans tous les pays où depuis longtemps la terre est divisée en patrimoines héréditaires. Le nom du village russe, derevnia, a la même racine qu’en allemand dorf, en Scandinave trup, en anglo-saxon thorpe, et en français troupe, troupeau ; il signifie, comme le remarque M. Julius Faucher, réunion, agrégation, en vue d’une protection mutuelle[1]. Les hommes, aux époques primitives, ont besoin de se grouper pour résister en commun aux attaques des ennemis et des animaux de proie, ainsi que pour mettre la terre en valeur par l’association des bras et par la coopération des forces individuelles.

Pour opérer le partage, les arpenteurs désignés par la commune procèdent au mesurage et à l’estimation des différentes pièces de terre et à la formation des lots. D’après ce que rapporte M. de Haxthausen, dans certaines localités, ils se servent de bâtons ou verges consacrées, d’inégales longueurs, les plus courtes étant réservées pour les terrains de meilleure qualité, de façon que le lot est d’autant plus petit qu’il est plus fertile. Toute la terre arable de la commune est divisée en trois zones concentriques qui s’étendent tout autour du village, et ces trois zones sont encore divisées en trois champs déterminés par l’assolement triennal. C’est la proximité qu’on estime plus encore que la fertilité, qui en Russie ne varie pas beaucoup dans chaque région. Les zones les plus rapprochées du village sont seules fumées une fois tous les trois, six ou neuf ans dans la région sablonneuse ; dans la région de la terre noire, l’emploi de l’engrais est inconnu. Chaque zone est divisée en bandes étroites, larges de 5 à 10 mètres et longues de 200 à 800 mètres. On réunit plusieurs parcelles en ayant soin qu’il y en ait au moins une dans chaque zone et dans chaque division de l’assolement, et on en forme ainsi des lots qui sont tirés au sort entre les copartageans. Tous les habitans, y compris les femmes et les enfans, assistent à cette loterie dont dépend la détermination du lot de terrain que chacun aura à faire valoir jusqu’à l’époque d’un nouveau partage. Ce tirage au sort ne donne lieu qu’à très peu de réclamations, parce que les lots, composés de plusieurs petites parcelles dont la valeur se compense, sont généralement très égaux. Celui qui prouve qu’il est lésé reçoit un supplément pris sur les terres restées libres. Les forêts et les pâturages ne sont point partagés.

  1. Voyez the Russian agrarian Législation of 1861, by Julius Faucher of the prussian Landtag, dans le volume du Cobden club : Systems of Land tenure in varions countries.