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Page:Revue des Deux Mondes - 1872 - tome 100.djvu/156

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et, quand ils seront remplis, les vastes plateaux de l’Asie s’ouvriront à l’expansion indéfinie de la grande race slave. Tant qu’elle conservera la vénérable institution du mir, elle échappera aux luttes de classe à classe, à la guerre sociale, la plus terrible de toutes, car elle a été la cause de l’asservissement et du déclin des sociétés antiques, et aujourd’hui elle menace des mêmes périls les sociétés modernes. Le peuple russe restera uni et par conséquent fort ; il continuera de grandir sur la base de l’institution primordiale, qui seule peut garantir l’ordre, parce que seule elle permet l’organisation de la justice parmi les hommes.

Ainsi parlent les partisans du mir, et il s’en trouve de différentes nuances. Il y a d’abord les conservateurs, comme le baron de Haxthausen, qui voudraient garder le régime patriarcal et les institutions anciennes. Vient ensuite le groupe nombreux des slavophiles, comme Aksakof, Bieliaïef, Kochelief, Samarine, le prince Tcherkasski, suivi par beaucoup de personnes de la haute société et de femmes distinguées qui s’exaltent à l’idée des grandes destinées réservées à la race slave. Il y a enfin les démocrates-socialistes de l’école de Herzen, comme Tchernichevski et Panaeff, qui prétendent que l’organisation agraire du mir contient la solution du problème social en vain cherchée par Saint-Simon, Owen ou Proudhon.

Les institutions de la commune russe sont tellement en opposition avec tous nos principes économiques et avec les sentimens développés en nous par l’habitude de la propriété individuelle, que nous pouvons à peine en comprendre l’existence. Le mir ne nous apparaît que comme une monstruosité sociale, legs des âges de barbarie, dont le progrès moderne ne tardera pas à faire justice. Cependant il suffit de jeter les yeux autour de nous pour voir que le principe de la collectivité nous envahit de bien des côtés et menace l’individu isolé et indépendant. D’une part, la société anonyme, puissance collective d’où la responsabilité est complètement bannie, s’empare non-seulement de toutes les grandes industries ; elle écrase même sous sa concurrence irrésistible les artisans et les petits commerçans sur un terrain où ils semblaient inattaquables, la confection des vêtemens, des chaussures, des meubles, et la vente au détail. Les sociétés anonymes entreprennent tout et se multiplient de plus en plus. Bientôt tout le monde sera actionnaire ou salarié ; il n’y aura plus de place pour le petit chef d’industrie isolé, pour le travailleur indépendant non associé.

D’autre part nous voyons croître en nombre, dans une progression vraiment alarmante, des sociétés où le principe communiste est appliqué avec bien plus de rigueur que dans le mir russe et où toute distinction du tien et du mien est sévèrement proscrite. Je veux