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Page:Revue des Deux Mondes - 1872 - tome 100.djvu/176

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heures, c’est que sans doute il s’endormait tard, et croyez bien que cette irrégularité lui méritait la compassion plutôt que le mépris, car l’insomnie est un malaise terrible. Maladie pas plus que pauvreté n’est un vice, c’est bien assez que ce soit une faiblesse. S’il était morose, c’est que sans doute son esprit se sentait parfois à la gêne dans son enveloppe, et que l’habitude de la pensée donne fréquemment à l’âme le pli de la tristesse. Et puis il avait vécu dans des temps fort sombres, contemplé de grands crimes suivis de terribles expiations, et comme il était de ces esprits qui ne peuvent s’empêcher de méditer sur ce qu’ils voient, il n’avait pas cette ressource commode de l’indifférence qui épargne à la vie tant de soucis, et à la pensée tant de quarts d’heure gris et mélancoliques. » Je ne conseillerai cependant pas aux gens d’esprit de prendre ce jugement comme une leçon à leur adresse, bien convaincu qu’il ne leur servirait de rien de renoncer aux bizarreries dont ils peuvent avoir contracté l’habitude, car tout est excentricité pour le vulgaire, même les choses les plus simples, et si, par déférence au jugement de ses voisins, M. Joubert eût consenti à se lever à six heures du matin, il se serait aussitôt trouvé quelque censeur méticuleux qui lui aurait réglé l’heure de ses repas, décidé la rature des mets dont il devait se nourrir, et arrêté la coupe des vêtemens qu’il devait porter.

Nous montrions tout à l’heure comment les édifices ont leur enfer de Rabelais, mais la déchéance qui les atteint n’est rien à côté des transformations basses et triviales qu’ont parfois à traverser avant de s’éteindre les habitudes les plus nobles et les coutumes les plus sacrées. C’est un de ces exemples de déchéance des grandes coutumes que nous avons rencontré, sans le chercher, à Saint-JuIien-du-Sault, où nous avions fait halte pour voir une église remarquable, mais qui aurait grand besoin que M. Viollet-Le-Duc passât par là, et des vitraux célèbres, mais qui dans leur état actuel présentent un aspect si confus qu’ils ne peuvent plus intéresser que les archéologues enragés. En examinant les pierres tombales du pavé, nous remarquâmes à notre grande surprise que l’habitude d’enterrer dans les églises, partout abandonnée depuis la révolution, s’était par exception perpétuée jusqu’à nos jours dans cette bourgade de Saint-Julien. Désireux de savoir en considération de quels illustres mortels s’était maintenu ce privilège, nous nous arrêtâmes à lire les inscriptions tumulaires récentes ; l’une d’elles, qui date d’après 1830, mérite d’être conservée à la postérité, ne fût-ce que comme spécimen de la contagion des modes littéraires. Un individu qui a été marié deux fois et qui nous assure avoir été également heureux par ses deux femmes, qu’il appelle sentimentalement ses