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Page:Revue des Deux Mondes - 1872 - tome 100.djvu/235

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tendre, il pourrait compter sur elles. C’est l’âme qu’elles aiment, et non le corps.

………. Sur leurs sens
Les droits de la raison sont toujours tout-puissans.


Elle tremble donc sur l’effet que va produire son entorse, et s’inquiète de la fragilité de Sauvières, non de la sienne. Elle se défiait du courage de son amant, et c’est elle qui est mise en déroute par la nouvelle des ravages que les affreux Annamites ont produits dans la personne de celui dont elle redoutait l’arrivée pour de tout autres motifs. cette petite péripétie est piquante par le contraste des situations : la pièce échappe ainsi au lieu-commun des épreuves de ce genre dont le théâtre est plein depuis qu’il y a des comédies de l’amour ; c’est aussi ce qu’il y a de mieux dans la composition.

M. de Sauvières, à son tour, a lieu de moraliser sur la faiblesse des femmes. C’était bien la peine de nourrir son beau feu deux ans durant, et en Cochinchine ! Elles sont toutes comme Mme de Circourt, cosi fan tutte. Il en est une pourtant qui fait exception, c’est Mme de Meulan, l’amie de la jeune veuve, jouissant également de la liberté du veuvage, et chargée par elle de recevoir le premier choc de la colère et de l’amour désappointé. Où celle-là n’avait vu qu’une occasion de refroidissement et de dégoût, celle-ci trouve des motifs d’intérêt et de douce pitié. Elle aussi, elle avait des raisons pour se plaindre de l’autre sexe ; un fat avait abusé de son indulgence et lui faisait sentir l’insulte d’une petite tyrannie anticipée. Ce borgne, ce manchot la réconcilie avec l’espèce masculine. L’éloquence passionnée dont elle doit être la simple messagère la touche pour son propre compte. Voilà un homme qui sait aimer ! Elle envie à cette amie. au cœur léger son prétendu disgracié, son invalide. Le public est du parti de l’amour et de la tendresse, même avec des infirmités notables, comme Mme de Meulan, comme M. Amédée Achard, même plus que celui-ci, car l’auteur n’a pas assez de confiance en son paradoxe pour s’en tenir aux séductions d’un cœur aimant servi par un corps endommagé. Son brave estropié oblige, à la pointe de l’épée, le fat éconduit à rendre deux lettres que la jeune femme avait eu l’imprudence de lui écrire. Cette agréable histoire d’entorse, de blessures et de calvitie se termine par une guérison universelle. Mme de Circourt, voyant son genou remis en un tour de main, vient d’un pas triomphant étaler ses grâces, rendues à leur première splendeur. M. de Sauvières retrouve plus vite encore sa beauté au grand complet, sans beaucoup surprendre le public ; calotte, emplâtre, écharpe, il rejette tout ; les femmes, qui aiment le dévoûment, sont bien aises, et avec raison, qu’il soit récompensé sans être poussé trop loin. Le cas échéant, elles imiteraient plutôt la prudence de Mme de Circourt que l’héroïsme de Mme de Meulan, et l’on ne saurait leur en faire un crime. Sur ce canevas sans