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lesquels avait débuté la révolte, continuèrent sur une vaste échelle. On saccagea une foule de maisons ; on se rua sur les religieux, sur les nobles, qui s’étaient attiré davantage le ressentiment populaire ; on n’épargna ni les femmes, ni les enfans, ni les gens de service. Il n’était question que de meurtres, de viols et d’incendies, crimes commis le plus souvent sans préméditation, sans conscience de ce qu’on faisait, car, lorsque les paysans pénétraient dans une abbaye, une collégiale ou un manoir, leur première visite était pour la cave, où ils se gorgeaient du vin qu’ils y puisaient à pleins pots. A cette époque, les celliers des moines et des chanoines, aussi bien que ceux des seigneurs, étaient abondamment pourvus. Il y avait là d’énormes tonneaux, de ces foudres à larges panses dont le célèbre tonneau du château d’Heidelberg nous a conservé un curieux spécimen et où des armées entières eussent trouvé de quoi s’abreuver. Les paysans, la tête échauffée, se jetaient comme des bêtes féroces sur tout ce qui tombait sous leurs mains. A Eberbach, près des bords du Rhin, la populace resta quatre semaines à vider les riches caves du couvent. A Ochsenfurth, les mutins s’emparèrent de 500 foudres de vin que les chanoines de Wurzbourg avaient entassés pour leur usage, et s’en donnèrent à cœur joie. Aussi l’ivrognerie faisait-elle dans les rangs des révoltés de funestes progrès. Lors d’une réunion qui se tint à Wurzbourg et où les chefs devaient agiter de graves résolutions, il fut impossible de délibérer parce que tous les assistans étaient ivres. Une fois attablés pour boire le vin, les paysans n’écoutaient plus les ordres de leurs capitaines, qui, n’étant plus obéis et ayant souvent eux-mêmes pris leur part de l’orgie, ne savaient comment diriger les opérations. En divers endroits, les insurgés dressèrent des potences pour y attacher leurs seigneurs, ou, comme ils disaient, pour châtier le mal. La scélératesse fut portée si loin qu’on vit des infortunés mis à la broche et rôtis comme de la volaille ; on poussa le raffinement de cruauté jusqu’à obliger les épouses des victimes à tourner ces hideux rôtis. Ce fut surtout dans l’Odenwald, à Heilbronn, que se commirent de telles atrocités, et les femmes rivalisèrent de barbarie avec les hommes.

Un certain nombre de gens mal famés, perdus de dettes, appartenant à la bourgeoisie et même à la noblesse, d’ambitieux de bas étage, vinrent se joindre aux paysans ; supérieurs à eux par l’intelligence et l’instruction, ils leur fournirent des chefs, plus capables que les prédicans et les illuminés, qui ne savaient guère qu’exalter le fanatisme. L’un de ces chefs fut le fameux Jacklin Rohrbach, de Böckingen, près d’Heilbronn, impliqué dans une affaire d’escroquerie et l’un des complices du meurtre du bailli de