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Page:Revue des Deux Mondes - 1872 - tome 100.djvu/533

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Dareste de La Chavanne cite la coutume du mont Jura, qui attribue au premier occupant la propriété libre et franche de toutes les terres défrichées[1], mais il était sévèrement défendu d’enclore une partie des champs communs ou d’y poser des bornes, à moins que ce ne fût en présence des autres ayant-droit au partage, consortes, et avec leur consentement.

Déjà du temps de Tacite, l’égalité au sein du clan n’était pas absolue ; quelques familles avaient plus de puissance, de richesses, d’esclaves, et obtenaient même dans la répartition une plus grande part. C’étaient ces familles qui seules pouvaient créer un domaine isolé dans la forêt par le travail de leurs serviteurs. Ce domaine était soustrait à l’autorité communale et à la « culture obligée, » au Flurzwang ; c’était déjà comme une souveraineté isolée. Sur cette terre bornée et enclose, la culture temporaire annuelle et nomade n’était point possible. Il fallait donc recourir à un mode d’exploitation plus intensif. Il est probable que c’est là que l’assolement triennal fut introduit d’abord. Les rois francs possédaient dans les diverses parties du pays beaucoup de ces domaines. Plusieurs des villas de Charlemagne ont eu cette origine. C’est ainsi qu’il possédait dans le diocèse de Salzbourg au domaine, curtis, très étendu, comprenant quinze fermes, des vignes, des prés, des bois. Il s’éleva de cette façon de toutes parts, à côté et en dehors du territoire commun soumis au partage, des propriétés privées indépendantes, « des seigneuries, » curtes nobilium, La terre close s’appelait ager exsors, parce qu’elle était soustraite au tirage au sort. Dans le Danemark, ces domaines indépendans se nommaient ornum ; ils étaient entourés d’un fossé et bornés par des pierres de limite. Ils étaient considérés comme des terres privilégiées, parce qu’ils étaient exempts de toute charge communale et qu’ils échappaient à la répartition nouvelle par la corde. Toutes les prestations imposées à la commune étaient supportées par les terres du domaine collectif. Le propriétaire de l’ornum, n’ayant pas droit à la jouissance du pâturage et du bois de la communauté, était naturellement dispensé de prendre part aux prestations en travail ou en nature dont les communiera avaient à s’acquitter. Cette immunité donna aux domaines indépendans une certaine supériorité qui, se confirmant avec le temps, aboutit à une sorte de suprématie et de suzeraineté.

Une autre circonstance vint miner l’ancienne organisation agraire

  1. Dareste de La Chavanne, Histoire des classes agricoles en France, chap. III. — Il cite aussi un plaid de l’an 852, où, au sujet d’une question de propriété, l’une des parties s’exprime ainsi : Manifestum est quod ipsas res (les biens en litige) retineo, sed non injuste, quia de eremo eas traxi in aprisionem.