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chauffeur ou à quelque événement imprévu, détermine une rupture, tandis que la chaudière timbrée pour quatre atmosphères et essayée, avant la mise en service, sous une pression triple supporte sans accident les épreuves fortuites qu’il est presque impossible d’éviter dans le travail incessant des ateliers.

On ne saurait décrire l’infinie variété des applications auxquelles se prête la machine à vapeur dans les usines et les manufactures de l’industrie privée ; tout au plus donnerons-nous une idée des services qu’elle rend dans les ateliers de travaux publics. Grâce à ce moteur infatigable, les ingénieurs achèvent maintenant en une campagne des entreprises qu’ils n’auraient pas jadis exécutées en dix ans, ou qui auraient paru tout à fait impraticables. Le percement de l’isthme de Suez en est un exemple remarquable. Au début, le creusement du canal s’opérait au moyen de 20,000 à 30,000 ouvriers égyptiens qui se relayaient par mois sur les chantiers. En 1864, le gouvernement ottoman impose la suppression de ces corvées ; aussitôt les habiles entrepreneurs de cette grande œuvre installent d’immenses dragues à vapeur, dont quelques-unes si puissantes qu’elles pouvaient extraire 1,000 mètres cubes par jour. Une seule de ces machines valait 700 ou 800 fellahs, et n’exigeait que le concours d’une vingtaine de manœuvres. Il est d’autres travaux que l’on aurait à peine osé concevoir avec les anciennes ressources de l’art des ingénieurs. Il y a cent ans, il fallait dix ou quinze années pour établir l’un de ces beaux ponts de la Loire qui font honneur au corps des ponts et chaussées du XVIIIe siècle ; dernièrement nous avons vu édifier cinq grands ponts sur le Rhin dans l’espace de quinze ans. Dans les gares des chemins, sur les quais des ports maritimes, dans les chantiers de construction, la vapeur élève, décharge ou transporte les fardeaux. Dans les villes, elle alimente les réservoirs d’eau, elle actionne des pompes à incendie d’une énergie incomparable. Dans les phares de nos côtes, elle produit la lumière électrique et se substitue aux anciens appareils d’éclairage. Dans les hôpitaux et les ateliers insalubres, elle produit, en comprimant l’air, une ventilation énergique.

Les machines fixes, dont il a été question jusqu’ici, s’installent dans de vastes ateliers, sur une base inébranlable ; elles s’alimentent avec de l’eau de bonne qualité, à peu d’exceptions près : le mécanicien peut circuler autour et les surveiller dans toutes leurs parties. À bord d’un navire au contraire, le moteur doit tenir peu de place et avoir peu de poids ; il est en outre assujetti à d’autres conditions défavorables. La mer ne fournit à la chaudière qu’une eau saumâtre qui abandonne, en s’évaporant, une quantité considérable de sel. Au cours d’une traversée qui durera plusieurs jours