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jusqu’aux campagnes, et nous n’aurions eu d’autre ressource contre elle que de livrer le reste de la France aux armées étrangères. Bien loin de regretter cette bonne occasion perdue, il faut remercier l’assemblée nationale d’avoir su résister à la tentation, et d’avoir accepté sans trop se faire prier la trêve patriotique que M. Thiers lui offrit alors, et qui a reçu par la suite le nom de pacte de Bordeaux.

On a voulu voir dans le pacte de Bordeaux une espèce de constitution provisoire par laquelle le chef du pouvoir exécutif se serait engagé à suspendre les mouvemens de l’opinion publique, et à réserver tout entière la question de la forme du gouvernement pour le jour où il plairait à l’assemblée de la trancher. On oublie que l’exécution d’un tel engagement, quand même il l’aurait contracté, n’était pas en son pouvoir. Le pacte de Bordeaux n’était pas un simple ajournement de la restauration de la royauté. C’était une promesse de neutralité entre les partis, de respect pour la représentation nationale et d’obéissance à la volonté du pays. C’était un appel, bien nécessaire alors, à la sagesse et à la modération de tous les partis, trop pressés de donner une solution irréfléchie à des difficultés que le temps seul pouvait résoudre. C’était un expédient de génie pour empêcher la France de périr, et non pas un système constitutionnel à l’abri duquel la république et la monarchie pussent être mises en présence comme de simples partis parlementaires, et préluder chaque jour par des tournois oratoires à un combat annoncé d’avance et prêt à s’engager à toute heure, à la première occasion favorable offerte par les événemens. Le pacte de Bordeaux, pour être rigoureusement observé, exigeait le silence et presque l’abdication des partis ; mais, s’il n’imposait pas silence à la majorité royaliste de l’assemblée, il ne pouvait l’imposer non plus à la majorité républicaine du pays. Quand M. Thiers promettait de tenir la balance égale entre tous, il ne pouvait empêcher l’opinion d’incliner d’un côté ou d’un autre, ni assurer aux royalistes élus le 8 février la conservation de leur majorité d’un jour. Il ne leur jurait pas de servir leurs passions et de s’attacher à leur cause, il leur jurait seulement de ne pas nier leurs droits, de ne rien entreprendre contre leur autorité souveraine, de ne pas les en dépouiller par la force, et de leur rendre intact le dépôt qu’ils lui avaient confié sitôt qu’ils le lui redemanderaient. Son devoir était non pas de fonder la république ou la monarchie, mais d’assurer au pays la liberté du choix et d’être le gardien de la souveraineté nationale contre quiconque menacerait de lui faire violence.

Ces engagemens n’ont-ils pas été tenus fidèlement ? L’assemblée nationale n’est-elle pas aujourd’hui ce qu’elle était hier ? Aucune atteinte a-t-elle été portée à son autorité ? N’est-elle pas libre en fait de constituer la monarchie, si elle l’ose, de renverser le pouvoir