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surpris du jugement rigoureux que M. Bréal porte sur notre instruction secondaire, qui le satisfait peut-être encore moins que les deux autres. Ce n’est pas l’opinion ordinaire. L’Université, qui reconnaît que ses facultés laissent à désirer, montre ses lycées et ses collèges avec complaisance, et le pays pense un peu comme l’Université. Depuis près de trois siècles, tous les enfans des classes aisées sont élevés chez nous de la même façon. La méthode des jésuites fut accueillie dès le début avec tant d’applaudissemens que leurs rivaux eux-mêmes furent obligés de l’imiter pour se soutenir ; nous l’avons pieusement recueillie de l’Université de Paris, et nous la conservons avec une fidélité rare. Il n’y en a pas d’autre en France, et elle règne dans les collèges libres comme dans ceux de l’état. On s’imaginait, quand on proclama la liberté de l’enseignement en 1850, que le régime nouveau ferait naître des systèmes d’éducation très variés, et ceux qui étaient opposés à la loi annonçaient tristement que nous allions tomber dans une véritable confusion ; Il n’en a rien été : dans les établissement les plus divers, les méthodes sont semblables ; on ne se divise que sur des points de détail ; pour l’ensemble, on est d’accord. Le seul résultat de la loi, c’est que le père de famille peut envoyer son fils chez les dominicains et les jésuites, comme dans les collèges universitaires ; mais ce fils retrouvera partout les mêmes exercices et les mêmes méthodes. Cet enseignement est donc profondément établi dans nos usages et dans nos mœurs ; mais la vogue dont il jouit n’empêche pas M. Bréal de le trouver mauvais. Il lui semble que ces méthodes, qui comptent un si long passé et se croient si sûres de l’avenir, sont contraires à l’esprit de notre temps, et que, si l’on s’obstine à les garder, elles achèveront de nous perdre. Cette opinion, qu’il a soutenue avec une grande vigueur, n’est pas conforme au sentiment général ; elle ne peut manquer de surprendre beaucoup de personnes. Il faut voir sur quelles raisons il l’appuie et ce qu’on en doit penser.

Le système suivi dans nos lycées pour instruire la jeunesse diffère de ceux qu’emploient les autres nations. Ce n’est pas assez distinguer l’instruction qu’on y donne et en montrer toute l’originalité que de dire, comme on l’a fait, qu’elle est avant tout littéraire. Dans d’autres pays aussi, on tient à donner aux jeunes gens le goût et le sentiment des lettres ; mais on s’y prend chez nous d’une façon particulière. A Rome, où il était besoin que tout le monde sût parler, l’éducation ne cherchait à faire que des orateurs ; on enseignait au jeune homme à développer tous les sujets et à trouver des argumens pour toutes les causes. Nous autres, nous ne semblons occupés qu’à former des écrivains. Tout l’effort de nos maîtres consiste à donner à ceux qui les écoutent les moyens d’exprimer d’une manière suivie et sensée quelques idées générales : de là l’importance que nous accordons aux compositions écrites.