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Page:Revue des Deux Mondes - 1872 - tome 100.djvu/830

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poignante, la solitude vous enveloppe de douceurs ; on retrouve un calme si pur, une telle liberté d’esprit, qu’il y a presque compensation aux regrets qu’occasionne l’absence. Ce n’est pas dans ma dernière campagne que j’ai eu toute cette compensation ; je ne l’ai guère sentie que dans les deux derniers mois de mon retour ; mais cette expédition était exceptionnelle. J’arrive ; que ne donnerais-je pas pour aller m’ensevelir dans le silence de la campagne ! Point ; il faut ramer dans ces misérables rues, faire cent visites en un jour, traiter d’affaires avec des gens aigres-doux, défendre sa réputation contre la calomnie, pour obtenir quoi ? Qu’on ne vous jette pas dans des voies de folie ! C’est pitoyable.

Tout cela est bien général ; faut-il que je vous parle plus personnellement ? Je reprendrai mon ancienne position. On m’a reçu avec des démonstrations d’une tendresse infinie ; quel malheur que ces éclats d’affection viennent après les scènes que vous savez ! J’en ai la larme au cœur. Il y a dans l’âme, et surtout dans l’amitié, une certaine foi virginale qu’il ne faut point alarmer, qu’il faut encore moins briser ; autrement le dévoûment disparaît : ce n’est plus qu’un calcul, qu’une compensation d’intérêts, un pacte fondé sur des avantages communs ; ce n’est plus qu’un de ces mariages d’où l’amour a fui, et où il ne reste plus que la communauté des biens.

Je ne me suis pas plaint ; cependant j’ai fait entendre un reproche, non pas personnel, mais parce que la faute de l’amitié avait eu des conséquences désastreuses pour la mission publique. On a fait amende honorable, on a tout promis, et la réparation est presque une nouvelle blessure.

Non, je ne puis vous donner un seul jour pour vous aller voir, et pourtant je le désire ardemment. Je suis sur la brèche, il faut que je reste à mon poste. Je hâte de tous mes vœux l’instant de votre retour ; je sais que le 11 tombe un jeudi, et je serai fidèle au rendez-vous. Quelle longue suite de désillusions que la vie ! On y entre avec une chaleur de cœur qui vous fait aimer les autres presque sans bornes ; on s’attache, on se livre tout entier, et chaque jour vous révèle successivement que tous vos appuis sont vermoulus.

Je ne vous ai pas rapporté de madère parce qu’il m’a été impossible de mouiller à Funchal, quoique je sois resté devant cette ville une journée entière à votre intention, faisant tous mes efforts pour atteindre l’ancrage ; le soir, un coup de vent m’en a emporté bien loin.


Paris, le 30 octobre 1846.

Vous ne voudrez pas croire que je n’ai pas eu le temps de vous remercier de vos dernières lettres : aussi je me contente de vous