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Page:Revue des Deux Mondes - 1872 - tome 100.djvu/854

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les favoris cendrés. C’est un homme actif, d’une constitution de fer : son regard est vif et perçant ; habile à concevoir, prompt à exécuter, il sort de l’état de Vermont comme Heber C. Kimball, qui doit être son successeur… Son pouvoir est aussi absolu que celui d’aucun despote régnant ; mais il s’en sert avec tant de finesse que son peuple lui est passionnément dévoué. Le bruit court que, lorsque la Lion-House[1] fut prête à être couverte, Brigham reçut du Seigneur un message enjoignant aux charpentiers de se mettre à l’œuvre et de ne pas exiger un sou pour leur travail. Le Seigneur ajouta que les charpentiers récalcitrans iraient en enfer, et que les intempéries de la saison ne devaient servir d’excuse pour aucun retard. On dit encore que Brigham, quand un train d’émigrans arrive, fait défiler toutes les femmes devant le portique de la Lion-House, où il choisit les plus jolies. Il est immensément riche ; sa fortune est estimée de 10 à 20 millions de dollars. Il possède des scieries, des moulins, des manufactures de laine, des fonderies, des briqueteries, et il en surveille lui-même l’exploitation. Les saints d’Utah sont propriétaires de ce qu’ils ont créé, à l’exception d’un dixième, qui revient de droit à l’église ; or Brigham est le trésorier de l’église. Les gentils prétendent qu’il abuse de la confiance de son peuple, spécule avec cet argent et absorbe l’intérêt, sinon le principal. Les mormons démentent les méchans propos et disent que, quoi qu’il puisse faire, c’est pour le bien de l’église, qu’il défraie les émigrans des dépenses de leur voyage, qu’il se met en avant pour toutes les entreprises locales tendant à développer les ressources du pays, enfin qu’il est incapable de mal agir de quelque façon que ce soit. — Personne, ne paraît savoir au juste combien de femmes a Brigham Young ; plusieurs en élèvent le nombre jusqu’à quatre-vingts. En ce cas, ses enfans doivent être innombrables. Chaque femme a son appartement séparé, où règne, je suppose, tout le comfort moderne… Quand je m’en allai, le prophète me secoua cordialement la main en m’invitant à revenir. Ceci me flatta parce que, s’il prend un homme en grippe à première vue, il ne le revoit jamais. Au dehors, des gardes marchaient de long en large ; ils me regardèrent en souriant avec douceur. La vérandah était remplie de mineurs gentils qui parurent surpris de ne pas me voir revenir habillé de sapin, la gorge fendue d’une oreille à l’autre[2]. »

Artemus donne peu de détails sur le théâtre des mormons, dont l’importance est presque égale pourtant à celle du temple, et où les saints et saintes s’efforcent de réhabiliter l’art dramatique (un

  1. L’une des demeures du prophète.
  2. A cause d’une lecture irrévérente contre les mormons.