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elle. On mangea le pain et l’oie fumée, les saucisses et le rôti, puis on fit descendre le repas avec quatre tonneaux de vin du Neckar.

« Hans Breitmann a donné une soirée, nous fûmes tous soûls comme porcs. Je collai ma bouche à un baril de bière et le vidai tout entier, puis j’embrassai Mathilde Yane, et elle me donna une grande tape sur la tête, et la compagnie se battit avec les nappes jusqu’à ce que la police y mit fin.

« Hans Breitmann a donné une soirée. Où est cette soirée maintenant ? où est l’aimable nuage d’or qui flottait au front de la montagne ? Où est l’étoile qui brillait au ciel, lumière de l’esprit ? Tous sont passés comme la bonne bière, passés dans l’éternité. »


La Soirée de Breitmann, sous la forme burlesque qui fait tout son mérite, obtint un succès qui encouragea M. Leland à ramener en scène le buveur de bière. Il célébra la fameuse société de gymnastique que les Allemands ont importée avec leurs ustensiles de ménage, leur mysticisme et leur langue ; il fit un portrait comique du colosse, dont la force n’a d’égale que sa maladresse, et le montra soulevant à bras tendus des poids énormes qui lui retombent sur la tête sans le faire sourciller, tant est dur son crâne épais ; puis, continuant ses prétendues ballades, qui sont de féroces satires, il tourna successivement en ridicule tout ce que l’Allemand a de plus sacré, les orgies qui transforment les fêtes de Noël en fêtes du Walhalla, le divin Freyschütz, la danse des torches, le buste enguirlandé de Beethoven, la chanson populaire du Rheinweinlied, les sociétés chorales, les mascarades où l’on se déguise en Arminius, en Thusnelda, en Barberousse, en Conradin et en personnages des Nibelungen, la chaste valse, l’union des âmes, la magique Lorelei elle-même, qui se trouve avoir entraîné sa victime sous les flots, non pas par le prestige du chant et de la beauté, mais en lui promettant du vin, de l’argent, des pendules. Quant à leur métaphysique, la course fantastique de Herr Schnitzerl sur son philosopède, qui finit par le renverser et lui passer sur le corps, en est le symbole ; quant à leur vertu, demandez à Breitmann si ces benêts de Yankees ont raison de croire qu’il ne va chez la jolie veuve, la piquante cabaretière, que pour boire son vin, embrasser son baby et la regarder platoniquement ; écoutez les gros baisers que Breitmann dépose sur ses joues en lui parlant des étoiles… vous en entendrez six, bien comptés ! Au milieu de tout cela courent des réminiscences et des parodies de tels morceaux célèbres de littérature allemande qui font honneur à l’érudition de M. Leland, mais que jamais on n’avait touchés de cette main légère et profanatrice. Il ne quitte le malheureux Breitmann que sur le seuil de l’assemblée