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millions de tonnes kilométriques. L’entretien et les réparations ordinaires de ce réseau, d’environ 650 kilomètres, coûtent annuellement à l’état 450,000 francs ; l’impôt de navigation n’en rapporte que 30,000 ; perte sèche pour le budget, 420,000 francs. Le fret varie, sur ces voies navigables, de 3 à 5 centimes par tonne et par kilomètre ; c’est à peine une économie sur les prix du chemin de fer pour les marchandises encombrantes ; on ne peut donc pas dire que le sacrifice annuel de l’état se transforme en profit pour le public. Nous devons regarder ces canaux de Bretagne comme un héritage actuellement onéreux pour nous ; c’est, pour ainsi dire, une bouche inutile à laquelle nous servons une pension alimentaire. Si, au bout d’un certain nombre d’années, les transactions commerciales prennent dans cette partie de la France une assez grande activité pour que l’encombrement des marchandises commence à se faire sentir sur les voies ferrées, alors le moment sera venu d’améliorer le réseau navigable pour permettre à la batellerie d’abaisser ses prix de transport. Jusque-là, en consacrant nos capitaux à des travaux de ce genre, nous ne ferions qu’aggraver les inconvéniens du double emploi ; ce serait nous imposer des charges nouvelles.

Ces considérations suffiront pour définir le rôle économique qu’il convient d’assigner en présence des chemins de fer à nos voies navigables. La concurrence faite aux voies ferrées par la batellerie commence à devenir profitable au moment où ces voies deviennent insuffisantes pour le transport des marchandises. Tant que la demande des expéditeurs n’atteint pas l’offre possible de la voie ferrée, la concurrence d’un canal est non-seulement improductive, mais onéreuse pour la fortune publique. Concurrence sans double emploi, telle est la formule qu’il s’agissait d’établir ; elle répond aux questions que nous nous sommes posées.

Il nous reste à faire une remarque très générale. En voyant combien la consommation en matière de transports s’est augmentée depuis un quart de siècle, on serait tenté de croire qu’elle est susceptible d’un développement indéfini ; ce serait une erreur. C’est dans notre siècle qu’on a vu l’inauguration du règne de la houille origine d’une grande et féconde révolution industrielle. Au moyen de cette force nouvelle, la production s’est multipliée en même temps que les rails se posaient sur le sol, pour développer et perfectionner le mécanisme des échanges. Sans doute de nouveaux progrès restent à faire : ils constitueront une source de bien-être matériel et moral ; mais, à mesure que les mailles de notre réseau de chemins de fer se resserrent davantage, on se rapproche évidemment d’un maximum d’utilité qui rendrait superflue la création de nouvelles artères » Déjà, les progrès dans l’activité des transports se font avec moins de rapidité ; on tend pour ainsi dire vers un état stationnaire. Il faut, pour ce motif, qu’une grande sagacité préside au choix des nouvelles entreprises, car bien souvent les inconvéniens