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Page:Revue des Deux Mondes - 1872 - tome 100.djvu/957

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REVUE. — CHRONIQUE.

faudra plier des jeunes gens habitués à l’indépendance et aux douceurs de la vie, les économies à réaliser dans certaines branches des services pour en améliorer d’autres plus importantes sans imposer de nouveaux sacrifices au trésor. M. de Riencourt touche rapidement à toutes ces questions, et nous fait connaître comment elles sont résolues ou envisagées à l’étranger par les hommes les plus compétens. Ses idées sont justes, nettement exprimées ; toutefois il ne leur donne pas toujours le développement qu’elles comportent, et nous lui ferons à ce sujet une critique qu’on a rarement l’occasion d’adresser aux écrivains qui traitent des sujets spéciaux, c’est de s’être enfermé dans un cadre trop étroit.

Justement préoccupé des moyens de fortifier l’esprit de sacrifice et de dévoûment qui est le mobile des grandes actions, M. de Riencourt s’est demandé si la France ne pouvait pas faire plus qu’elle n’a fait jusqu’ici pour assurer le sort de ces nobles victimes du devoir que la mort n’épargne sur les champs de bataille que pour leur laisser une vie incomplète et trop souvent précaire. Membre du conseil de la Société de secours aux blessés, il a pu constater que, malgré les efforts du gouvernement, la sollicitude du ministre de la guerre et la bienfaisance privée, un grand nombre de nos soldats ne rentrent dans la vie civile que pour y retrouver ces redoutables ennemis qu’on appelle la misère et la faim. Il les suit pour ainsi dire pas à pas dans les conditions diverses qui les attendent, depuis le moment où ils entrent au dépôt avec une solde de 80 centimes par jour, jusqu’au moment où, après de longues formalités bureaucratiques, leur pension est enfin définitivement réglée. Le minimum de cette pension est aujourd’hui de 365 francs[1]. Il faut y ajouter, pour un certain nombre de retraités, les 100 francs de la médaille militaire, et, pour ceux qui forment ce qu’on pourrait appeler la glorieuse aristocratie des mutilés, les 250 francs de la Légion d’honneur ; mais les blessures, même les plus graves, ne constituent pas un droit absolu à la décoration. Il faut donc, comme règle générale, s’en tenir aux fixations de la loi, et il est évident que ces fixations sont insuffisantes. Les blessés ont, il est vrai, la ressource des Invalides ; le gouvernement donne des emplois à quelques-uns de ceux qui sont encore capables de les remplir ; les pensions dépassent souvent le minimum des 365 francs, et l’assemblée nationale a voté à titre de secours une somme très importante. Ce sont là sans doute de grands soulagemens ; cependant le régime des Invalides, fort doux d’ailleurs, est encore le régime militaire, le casernement à perpétuité ; il présente de graves inconvéniens pour les hommes qui conservent avec une certaine activité, la liberté de locomotion, et la plupart des blessés préfèrent leur pension, toute modique qu’elle soit, au séjour de l’hôtel. L’admission aux emplois est purement facultative, et les

  1. Depuis la guerre de Crimée, les amputés touchaient 600 francs ; mais cette somme leur était faite au moyen de 235 francs que la liste civile ajoutait a la pension légale. Ce supplément a disparu avec la liste civile.